Le mariage de la licorne
fournie dans le seul but de lui faire plaisir, le garçon brandit son épée de bois et hurla :
— Chargez !
L’épouvantail résista vaillamment à l’assaut. Tandis que Sam faisait faire demi-tour à sa monture, il se rendit compte que l’adversaire à peu près intact continuait à le narguer en se balançant doucement sur son support.
— Ah, sale gredin. Ça ne se passera pas comme ça. Tu vas voir.
Le visage de l’épouvantail était en train de changer. Mais Sam ne s’en aperçut pas tout de suite.
— Comme je te retrouve, ravisseur de princesse. Tu ne peux plus lui faire de mal. Elle est à moi.
Le cheval chargea de plus belle. Arrivé à la hauteur de l’épouvantail, Sam se jeta dessus et plongea avec dans la meule qui formait tout autour un épais matelas. Les deux combattants se livrèrent à une lutte sans merci à même le sol, sous le regard placide de la vieille jument qui avait décidé de profiter de cette pause pour paître un peu.
— Ah, maraud. On ne fait plus le fier, maintenant, hein ? Tiens !
Sam roula dans le chaume en tabassant l’épouvantail qui perdit un bras. Des brins de paille s’accrochaient à la chevelure du garçon comme s’ils cherchaient à en assagir la couleur de feu.
— Prends ça, ça et ça !
L’épée de bois traversa de part en part le corps mou de l’épouvantail, que Sam laissa s’affaisser sur lui d’une façon très réaliste. Il demeura étendu là un moment afin de reprendre son souffle, imaginant le trépas héroïque de son adversaire. À cet instant, il put pleinement voir le visage qu’il y avait fait apparaître à la place du sourire un peu niais, grossièrement brodé avec un reste de vieux fil rouge. Cette image lui fit honte. Il s’assit et éloigna le mannequin avec rudesse. L’épouvantail, dont le visage redevint anonyme, tomba face contre terre et ne bougea plus.
— Maître Baillehache ne sera pas content lorsqu’il verra cette pagaille, dit une voix.
Sam se retourna. C’était le père Lionel qui s’amenait, suivi de Blandine et de Toinot qui bavardaient gaiement. Ils prirent seuls la direction d’un sentier qui bordait le bois, histoire de faire un brin de causette au long d’un petit détour sans malice. Le religieux venait aussi de semer Jehanne en chemin sans s’en rendre compte. Mais l’enfant ne s’éloigna guère. Sam regarda d’un air navré l’épouvantail qui gisait parmi les vestiges de la meule. Force lui fut d’admettre, une fois le jeu terminé, que les dommages étaient considérables. Mais le garçon opta pour un air bravache. Il se leva, mit les mains dans les poches et donna un coup de pied penaud dans le tapis de chaume.
— Et alors ? Il n’est jamais content, de toute façon.
Trois adorables parachutes d’asclépiade vinrent se poser délicatement sur la coule noire du moine tandis qu’un petit groupe de graines poursuivait plus loin son vol placide. De sa phalange pliée, le père Lionel en caressa un avec précaution. Les poils, longs, soyeux et immaculés, s’incrustèrent davantage dans les fibres du tissu.
— Mon père ! Mon père, regardez ! J’en ai une autre ! cria Jehanne, qui brandit fièrement une coque intacte, encore boursouflée par ses rangs serrés de graines aventureuses.
« Je me demande s’il est possible de s’habituer au fait de ne rien trouver à répliquer, parfois », songea Lionel autour de qui se mit à graviter une dense formation de graines volantes.
— Sam, appela Jehanne au moment où elle les rejoignait en courant.
Il lui dit :
— Tiens, j’ai quelque chose pour toi.
Il s’approcha et lui remit une petite fiole en verre bosselé qu’il avait bouchée avec une retaille de tulle nouée autour du goulot.
— Oh ! Où as-tu eu ça ? C’est très joli. Sam haussa les épaules.
— Je l’ai trouvée. Regarde ce qu’il y a dedans.
Elle tint la fiole à la hauteur de ses yeux. Effectivement, il y avait au fond un petit objet jaune qui changeait mystérieusement de forme au gré de la lumière. Curieuse, Jehanne déboucha la fiole. Tout au fond se terrait un papillon affolé.
— Il est blessé ? demanda la fillette avec inquiétude, déjà prête à emporter l’insecte à maître Baillehache pour lui faire prodiguer des soins.
— Je ne le crois pas, non.
Jehanne l’examina attentivement et le relâcha en secouant doucement la fiole.
— Je savais qu’elle allait faire ça, dit Sam en prenant le moine à
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