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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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quelque temps avec eux, ce qui avait alerté les femmes. Elles avaient craint de ne pas se montrer à la hauteur des attentes d’un tel hôte. Bien entendu, elles ne pouvaient se douter que leur modeste pièce commune avec coin cuisine installé contre le mur était assez semblable à celle de sa petite maison rouge de Caen, même si la leur était dépourvue de cheminée (45) . Il avait regardé les femmes s’affairer, accroupies sur le sol de terre qui entourait leur foyer, à caler le fond des poteries à chauffer l’eau ou le potage dans des alvéoles prévus à cet effet. D’autres petites dépressions servaient à contenir les cuillères en bois qui étaient utilisées pour touiller les plats bouillis. Elles allumaient leur feu sur une sole en terre cuite ou en tessons de céramique disposés de chant, avec un briquet de métal qu’elles cognaient sur une pierre. Un soufflet servait à raviver les flammes. L’un des habitants, mieux pourvu, possédait une sole en vrais carreaux. Comme Louis, ces familles possédaient un ameublement rudimentaire, mais fonctionnel. La plupart des meubles, en bois, servaient aussi d’espaces de rangement. Quelques seaux étaient laissés en permanence à la disposition de tout un chacun afin que l’on pût aller chercher de l’eau à la fontaine commune. Certains possédaient un vieux tonneau qui servait à récolter l’eau de pluie. Enfin, la plupart avaient aussi une louche, une chasière* à fromage, des couvercles pour les pots à mettre en réserve et une souche pour servir de billot. Faute de cheminée, crémaillères, chenets, lèchefrites, gaufriers et broches se cantonnaient au manoir ou à la taverne ; c’était là les deux seuls endroits où les villageois pouvaient espérer consommer un peu de viande rôtie. Autrement, ils se contentaient d’un trépied, d’un poêlon à bouillie, peut-être d’un petit chaudron, d’un pot de cuivre ainsi que d’un pot de terre percé pour cuire le pain sous la cendre chaude. Cela rappelait à Louis l’un de ses nombreux projets, soit la construction d’un vrai four à pain.
    Malgré toutes ces limitations, Louis savait reconnaître et apprécier la débrouillardise des paysans. L’imagination dont faisaient preuve les femmes pour améliorer l’ordinaire était considérable. Elles savaient cuisiner de petits miracles avec presque rien ; à leurs aliments, toujours bouillis, s’additionnaient les seuls condiments qui leur étaient accessibles, soit le sel, le poivre, l’ail, le verjus et la moutarde. Le pain cuit sous la cendre et les œufs sur la sole ne requéraient même pas l’usage d’ustensiles. En période d’abondance, on pouvait fort se satisfaire du menu modeste d’un paysan qui était alors varié avec ses œufs, ses laitages, ses galettes et ses volailles. L’eau de rose et le poivre long ne manquaient pas à Louis autant que les fruits ou le bon pain de Gonesse.
    Les gens découvraient en lui un homme sévère mais compréhensif. Si quelqu’un se portait malade, il se hâtait de lui proposer gratuitement des soins, ce qui était certes généreux, mais qui avait aussi l’avantage d’éviter les malaises fantoches dont souffraient, hélas, trop souvent les paresseux.
    Le père Lionel, lui, s’avéra aussi utile au travail des champs que son vieux chien malcommode. Son premier sillon ressembla à un fleuve de plaine et son second croisa le premier en biais avant que le soc de la charrue ne rencontre une grosse pierre qui le brisa comme de la faïence. Louis eut vite fait de renvoyer le religieux au manoir avec le titre de régisseur. Cela plut fort au moine, qui préférait de loin faire les comptes plutôt que de se faire constamment harceler par des hordes de grosses mouches dont Louis n’était pas la moindre. Ce garçon de la ville, dont les sillons étaient parfaitement rectilignes et qui avait ramené de Caen un cochonnet rose, avait eu le don de lui saper le moral avec des remarques désobligeantes telles que « Ne me dites pas que vous êtes encore pris ? » et « Qu’êtes-vous en train de tracer ? Une lettre géante ? »
    Ses frères moines manquaient à Lionel ; sa grande bibliothèque et la vie de là-bas aussi. Il avait souvent l’impression que le seul lien qui lui restait avec eux était la règle de saint Benoît, qu’il s’efforçait de suivre de son mieux dans les conditions qui étaient désormais siennes.
    — Un jour viendra où nous aurons une laiterie,

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