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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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grand-père à Sam qui revenait, son gobelet à la main. Il s’arrêta devant Louis. Le bourreau baissa la tête et se trouva incapable d’ouvrir la bouche. Pas avec ces yeux émeraude qui s’étaient levés sur lui et qui vivaient de nouveau, dans l’incongruité de ce visage jeune. Sam dit quelque chose que Louis ne comprit pas. Le petit Écossais avait égaré l’équivalent français quelque part dans un fouillis de cris retenus. Louis ne trouva rien d’autre à faire que de se pousser de côté afin de livrer passage au garçon qui pénétra dans la chambre. Il se hâta de refermer la porte en tentant de se persuader que c’était pour les laisser seuls.
    Personne ne but l’hypocras*. Le gobelet fut oublié sur le coffre où Sam l’avait posé, tout près de l’écuelle de sang.
    Ce fut par les cris de Sam que le reste de la maisonnée apprit la nouvelle, juste avant que Louis ne fût de retour parmi eux pour leur annoncer, laconique comme à son habitude :
    — C’est fini.
    Tout le monde se leva et se signa pour une prière silencieuse. De la poussière et de la fumée qui ne venait pas de l’âtre commençaient à dériver mollement à travers la pièce, éclairée de biais par le soleil couchant que laissaient pénétrer les volets ouverts. Elle accompagnait leurs sanglots et se mêlait à eux dans l’air pétrifié de la maison.
    Par tout le pays, les récoltes du même or mat que les cheveux d’Aedan étaient piétinées, et les fermes étaient dévastées par des hordes de brigands qui rencontraient peu ou pas de résistance et qui en profitaient pour bouter le feu à tout ce qui ne pouvait être dérobé. De loin en loin, des incendies déployèrent leurs blêmes oriflammes et plongèrent la jeune forêt dans un silence consterné.
    Le froid revint comme un mauvais présage. Le petit cimetière, pétrifié entre les fûts immenses des chênes, était désaffecté depuis longtemps. Il n’y subsistait pas même l’une de ces croix de fer surmontées de leur toit en forme d’accent circonflexe. Les seuls témoins de son existence étaient quelques gros cailloux moussus présentant à fleur de terre leur surface vaguement gravée. On pouvait discerner sous la mince couche de neige un monticule de terre fraîchement retournée. L’avant-veille, on avait porté en terre un jeune charron du village qui avait péri sous les décombres d’une grange en feu. Elle s’était effondrée sur lui alors qu’il s’acharnait à essayer de sauver ses deux bœufs.
    Louis achevait de creuser une nouvelle fosse lorsque la triste procession se manifesta à l’orée du bois où stagnaient des vestiges de brouillard. L’haleine de l’homme en noir produisait de petits nuages pressés d’aller les rejoindre. Il se hissa hors de la fosse, planta sa pelle dans le tas de terre meuble et attendit, les mains croisées devant lui.
    Aedan reposait dans son linceul, le visage découvert et les yeux fermés, en paix, sur le même brancard qui l’avait ramené blessé à la maison trois jours plus tôt. Il était porté solennellement par Toinot, Hubert, Thierry et un ami du village qui était particulièrement affligé par cette perte. Le cortège était précédé du père Lionel. Derrière le brancard marchait Sam, le cœur barbouillé de suie, ses pas mal assurés communiquant leur hésitation à ceux des autres qui le suivaient. Des flocons venus de nulle part se posaient sur la chevelure couleur de paille qui seule vivait encore, et ceux qui se posaient sur les cheveux roux du garçon s’étiolaient en palpitant, se transformant pour lui en grosses larmes d’enfant.
    Le petit Écossais alla se tenir aux côtés de son nouveau tuteur comme il lui avait été pour ainsi dire ordonné. Louis ne bougea pas. Il tourna seulement la tête et baissa les yeux sur lui. Tout cela lui rappelait trop quelque chose qu’il n’aimait pas. Une autre tombe, celle d’Adélie. Et un autre enfant, lui-même.
    — Vous l’avez recousu, mais ça n’a servi à rien, lui dit Sam tout bas, pendant que les autres encerclaient la fosse en silence.
    — J’ai fait ce que j’ai pu.
    — Ce n’était pas assez puisqu’il est mort quand même. Et puis je n’ai pas besoin d’un tuteur. Encore moins de vous. Tout est votre faute.
    Le père Lionel s’éclaircit la gorge. Sam se tut et regarda droit devant lui. Louis fit de même.
    — Nous sommes ici réunis pour rendre un dernier hommage à notre cher ami Aedan, qui a si

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