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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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bien su se faire aimer de nous tous. N’ayons nulle honte à pleurer la perte de ce bon vivant qui, j’en suis persuadé, l’est encore, de cet homme fier, courageux. Oui, courageux. Car il a su montrer beaucoup de courage devant l’adversité, cela dans un seul but, malgré l’inutilité apparente de son geste. Qu’il eût été à trois, à cinq ou à dix contre un n’avait pour lui aucune importance. Ce qui comptait pour Aedan, c’était de défendre ceux qu’il aimait. Par conséquent, son décès ne saurait être vain.
    Il fit une pause pour regarder Sam, qui baissa la tête. Le religieux dit encore :
    — Je dois admettre que la mort d’Aedan m’a d’abord choqué, sidéré. Car elle est survenue de façon très inopportune. Elle nous a tous pris par surprise. Nul ne s’était attendu à la voir arriver si vite.
    Lionel se tut encore et regarda longuement Louis, qui ne cilla pas. Mais tous deux se comprirent. Margot aussi comprit, car c’était elle qui avait fait la toilette du mort. Le visage d’Aedan n’avait pas noirci, ce qui eût trahi une mort par étouffement ; elle avait donc seulement eu à prendre soin de dissimuler son cou cassé. Elle se contenta de regarder le moine en pinçant les lèvres et en clignant des yeux.
    — Cependant, j’ai appris malgré moi que le courage peut se manifester de bien des façons et qu’il peut nous arriver de ne pas en comprendre certaines. Depuis notre plus jeune âge, on nous enseigne à révérer la souffrance pénitentielle ; à y voir le plus grand signe de dévotion que l’on puisse manifester à l’égard de Dieu ; que ce que Dieu exige en particulier de nous, c’est de la souffrance.
    Le moine leva de nouveau les yeux sur Louis. Cette fois-ci le bourreau le regardait attentivement. Une étrange jubilation s’empara de Lionel, malgré son chagrin. Avec ce petit sermon, il s’apprêtait à creuser la terre non pas pour y faire une fosse, mais pour y semer une graine dont le fruit allait un jour, comme le disait Humbert des Romains (79) , être cueilli en confession.
    — La souffrance est, dit-on, le moyen spécifique que Dieu a choisi, autant pour le travail salvateur du Christ que pour la sanctification de ceux qui imitent le Christ. L’expiation ne vient pas nécessairement d’œuvres de charité ni de la prière ni de l’illumination, mais bien de la douleur. Souffrons et la colère de Dieu sera apaisée. Cela ne peut signifier qu’une chose, c’est que la souffrance est agréable à Dieu.
    Personne ne réagissait. On était habitué depuis trop longtemps à ce genre de discours moralisateur, du moins à ce que l’on arrivait à en saisir, pour y trouver quoi que ce fût à contester. Pourtant, quelque chose clochait là-dedans. Ce n’était pas là le type de prêche que le père Lionel avait coutume de faire. Et s’il y avait quelqu’un pour contester l’ordre des choses, c’était bien lui. Mais à quoi bon parler de souffrance à des gens qui ployaient déjà sous son joug ? Était-ce pour exprimer la sienne propre ? Lionel se refusait à cette éventualité.
    Au moment même où ils commençaient à ne plus prêter attention à ses paroles, l’aumônier énonça, avec une ferveur accrue :
    — Eh bien, moi, je vous dis, comme Catherine de Sienne, que ce n’est pas tant la souffrance que Dieu apprécie que l’amour révélé par elle (80) . Non, Aedan n’est pas mort en vain. Prions.
    Ce fut à Louis que revint la tâche de recouvrir le visage d’Aedan de son linceul replié. Sam ne voulut pas le faire. Ce furent Toinot et Louis qui déposèrent avec douceur le défunt au fond du trou en l’y précédant d’abord eux-mêmes. Et Toinot s’en alla. Cela fut encore Louis qui pelleta la terre par-dessus pour former un monticule sur lequel il planta une croix celtique en pierre gauchement gravée plus tôt par le garçon. Et, pendant tout ce temps-là, seul Sam resta avec lui. Il joua de la cornemuse pour seanair*.
    Louis et Sam ne cessèrent par la suite d’échanger des regards furtifs. Sam appréhendait et désirait tout à la fois un élan de sympathie de la part de son nouveau tuteur. Il aurait aimé que Louis essaie d’insister, qu’il tente au moins une fois de lui montrer qu’il tenait à le réconforter. Même s’il n’attendait peut-être que cela pour le repousser. Mais Louis ne fit rien. Il ne savait que faire ni que dire. Il n’aimait pas l’acuité de ce chagrin qui, pourtant,

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