Le mariage de la licorne
tous besoin. Il ne dit rien à Sam, il ne fit au garçon aucun signe qui eût pu faire croire à de la reconnaissance. Au lieu de quoi il énonça simplement :
— Bien. Je descends tout de suite au village. Les hommes avec moi. Toi aussi, Aitken. Les autres, attendez-nous ici.
Tel fut son seul signe de gratitude. Il comptait Sam parmi les hommes.
L’unique cloche de la petite église résonnait encore en guise de tocsin que les habitants du hameau achevaient de se rassembler sur la placette ; hommes, femmes et enfants confondus, tous intrigués plus qu’alarmés. C’était la première fois qu’une telle chose survenait. Le métayer du domaine se tenait debout en haut des quelques marches en compagnie du père Lionel. Quelques autres attendaient en bas et les regardaient. Le géant s’adressa à tous d’une voix qui avait l’habitude de se faire entendre des foules :
— Comme vous le savez, les Tard-Venus arrivent de partout. Ces routiers se disent de notre côté, celui du roi de Navarre, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne s’en prennent aussi à nous. Par conséquent, inutile de continuer à cultiver la terre. Vous n’êtes plus en sécurité ici.
Une brise de murmures fit remuer les villageois comme les branches abondantes d’un arbre. Louis éleva de nouveau la voix, ce qui contraignit tout le monde au silence.
— Nous avons trouvé un refuge. Mes gens et moi-même allons vous y conduire par groupes de trois, à raison d’un groupe toutes les deux heures, pour éviter de trop attirer l’attention au cas où l’on nous observerait de loin. Soyez parés à voyager de nuit. N’emmenez avec vous que le strict nécessaire et n’en prenez pas plus que ce que chacun peut transporter sur soi : couvertures, vêtements de rechange, nourriture non périssable et boisson. Ne vous encombrez pas inutilement, car il faut faire vite. Nous nous occuperons des animaux plus tard. Laissez ici tout ce qui est superflu. Il en va de votre sécurité. Arrangez-vous pour qu’il leur en reste un peu à prendre s’ils venaient à saccager le village. Ne vous souciez pas des médicaments : je m’en charge. Des questions ?
Visiblement, certains en avaient. Mais nul d’entre eux n’osait les poser. Louis tourna la tête en direction de ses gens. Le moine sortit de sa coule un grand sablier à la monture de bois orné. Louis dit :
— Bien. Mes instructions pour là-bas, maintenant. Ne faites pas de feu dans l’abri. Serrez-vous plutôt les uns contre les autres. Nous nous chargeons de vous procurer de la nourriture cuite ou qui peut être consommée telle quelle. Les femmes et les enfants : interdiction formelle de sortir de l’abri sans escorte et ce, sous quelque prétexte que ce soit.
— Quel abri ? demanda quelqu’un tout bas.
Louis ne parut pas entendre.
— Soyez assurés que je veillerai à ce que chacun d’entre vous puisse aller prendre l’air et se baigner régulièrement, en autant que la chose sera possible. Mais rien ne devrait être fait sans permission. Compris ? Les hommes, emmenez avec vous tout ce qui pourra servir d’armes : cognées, fourches, couteaux, serpes. Toi, le forgeron, emporte aussi tes coutres de charrue.
— Pour quoi faire ? demanda l’intéressé.
Au lieu de lui répondre directement, Louis regarda tout le monde et poursuivit :
— Tous les hommes valides m’aideront dans ma charge de gardien. Nous allons patrouiller les terres, le village et la forêt des alentours. Nous procéderons à l’arrestation de quiconque n’aura pas le droit de s’y trouver. Tous sont mobilisables au son du tocsin.
— Mais nous ne savons pas nous battre, dit quelqu’un faiblement.
Louis, qui n’eut aucun mal à repérer l’origine de cette voix, regarda l’homme droit dans les yeux et lui répondit :
— Tu sauras bientôt comme on se dispose à apprendre vite lorsqu’on voit la mort en face.
*
Les troupes d’Anglais essaimaient. Elles s’en allaient se rallier à leurs quelque six mille compatriotes qui accompagnaient Édouard III dans son voyage en terre de France. Des cannes à pêche côtoyaient les arcs dans le fourniment de ces gens de guerre, car la plupart des terres qu’ils parcouraient n’avaient plus reçu de semailles depuis trois ans, de sorte qu’on ne pouvait compter pour se nourrir que sur le gibier et le poisson. En outre, cette accablante foule en armes traînait en remorque un nombre non négligeable
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