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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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repensant. Cela s’était produit à cause de son « vin au sel ». L’idée datait du banquet de fiançailles et avait décidément été trop bonne pour être abandonnée. L’adolescent pouvait encore voir clairement le tyran prenant place à table, droit comme un chêne, avalant avec son sérieux habituel une grande rasade de vin qu’il avait aussitôt recrachée avec une telle violence que tout le monde en face de lui en avait été arrosé. Il avait trouvé Louis particulièrement odieux de l’avoir contraint à boire toute la bouteille de vin gâché, une fois la punition administrée. Il trouvait quand même qu’il s’en était tiré à bon compte, surtout après l’avertissement que Louis lui avait servi :
    — Que je t’y reprenne à gaspiller de la nourriture et tu auras affaire à moi. Je te montrerai l’un des nombreux usages méconnus du sel. Un bain de pieds à l’eau salée, ça te dirait ? La chèvre en sera enchantée, en tout cas, surtout si tu ne peux pas bouger (92) .
    Moqueur, Sam avait ri. Il avait ri encore lorsque Louis lui avait proposé d’essayer, mais il avait accepté de relever le défi. La chèvre avait été introduite dans la grange et avait gambadé jusqu’au banc sur lequel il avait été ligoté. Elle lui avait léché la plante des pieds avec enthousiasme. Sam avait encore ricané. Mais, au bout de quelques minutes à peine, le contact répétitif de la langue râpeuse contre le dessous sensible de ses pieds était devenu un supplice. À partir de ce jour-là, Sam avait renoncé à prendre à la légère les rares paroles de Louis.
    En cette veille du dimanche de la Trinité, dès l’aube, toute circulation dans les rues bondées de Reims devint à peu près impossible. On ne pouvait plus distinguer les pavés qui avaient été lavés à grande eau le jour précédent. Des litières d’apparat se faisaient bousculer sans ménagements dans cette presse, telles des barques sur une mer houleuse, faisant jaillir les protestations de leurs occupantes, de nobles dames soustraites avec précaution au regard de la roture par de précieux mantelets* que des mains impudentes froissaient. Chevaliers et gardes en armure, courtisans et bourgeois, valets, artisans et innombrables paysans accouraient des quatre coins du royaume afin d’assister au sacre, une façon toute symbolique de parler, puisqu’ils n’allaient pas même être en mesure de s’approcher du parvis de la somptueuse cathédrale. En ville et alentour, tous les gîtes affichaient complet. Les retardataires et les gens moins fortunés plantaient leur tente dans un champ en jachère qui s’étendait un peu en retrait des remparts. Si Sam, quant à lui, eut plus de chance, ce fut grâce à une rencontre fortuite qu’il eut le bonheur de faire.
    L’adolescent, vêtu du tartan coloré des Aitken, avait passé une partie de la journée à errer en ville ; il n’avait pas tardé à se faire prendre en filature par de la marmaille de caniveau qui ne cessait de ricaner derrière lui et qui s’arrêtait à distance respectable avec un semblant de crainte dès qu’il ralentissait sa marche pour se retourner vers elle. Il ne se doutait pas que sa prestance, qui était d’ailleurs fort belle, quoique un peu rigide, pouvait être responsable de toute cette attention dont il faisait l’objet. Mais ce qu’il voulait justement éviter à tout prix, c’était d’attirer l’attention.
    Le soir même de son arrivée, Sam fit son entrée dans une taverne avec un broc vide. Un second broc, identique mais déjà rempli, était soigneusement dissimulé sous le drapé de son plaid. Tout souriant, il tendit son broc vide au tavernier et commanda :
    — Servez-moi donc un peu de vin blanc, l’ami.
    Ce jeunot endimanché qui devait en être à ses toutes premières festivités d’homme eut l’heur d’attirer les sourires attendris des clients. Le tavernier surmené lui redonna son broc sans remarquer que Sam le substituait à l’autre qu’il éleva joyeusement :
    — À la vôtre !
    Il goûta le vin et claqua la langue d’un air dubitatif avant de se retourner vers le tavernier pour lui demander :
    — Dites-moi, l’ami, qu’est-ce que c’est, exactement ?
    — Ma foi, c’est du vin de Bagneux, et du bon, hein !
    — Hum… je vous crois sur parole, mais c’est que moi, voyez-vous, j’ai une nette préférence pour le vin d’Argenteuil. Auriez-vous objection à me le remplacer, je vous

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