Le mariage de la licorne
pailles remplies de poudre. Chaque extrémité est scellée par un bouchon d’argile. Après tout ce travail arrive enfin l’instant de ta récompense, mon petit gars.
Il était difficile de demeurer indifférent face à un tel enthousiasme et à la façon presque affectueuse qu’avait ce vétéran de décrire l’engin mortel qu’il avait servi avec tant de loyauté.
— Quand, au signal, tu poses ton boutefeu* contre l’amorce, il ne se passe presque rien : rien qu’un petit grésillement de rien du tout, ça fume un peu… mais éloigne-toi, vite, bon Dieu ! Parce que BOUM !
Il fit un ample mouvement circulaire des deux mains et manqua glisser du toit. Sam le rattrapa de justesse par la manche.
— Oh ! hisse !
— Ah, merci bien. Le recul est sacrement fort. Ça te bondit dessus si tu n’y prends pas garde et ça t’écrase tout net comme une grosse prune. C’est le chaos, un bruit d’enfer qui t’assourdit à un point tel que tu ne sais plus où tu en es et qui te sifflera dans les oreilles pendant des jours. Tu ne vois plus rien à cause du nuage, mais ça ne fait rien. Pousse-toi de là, c’est bien compris ?
— Oui-oui… mais je doute fort d’avoir à faire cela un jour, dit l’adolescent avec amertume. Si seulement on me laisse aller à la guerre, je ne pourrai aspirer à n’y être que parmi la piétaille.
— Ouais. Moi, j’ai eu de la chance.
— N’empêche que j’aimerais bien savoir comment on fabrique la poudre noire.
— Holà ! Je veux bien croire que des gamins, ça aime jouer avec le feu, mais si tu tiens à demeurer en un seul morceau, évite de fricoter de ce côté-là. Conseil d’ami. On ne rigole pas avec la poudre.
Sam se garda d’insister et de préciser qu’il n’était plus un gamin. Il s’étendit sur le dos, bras croisés derrière la tête. Il laissa son compagnon vider le cruchon et entretenir la conversation avec des récits de batailles qui, au fil des heures, devenaient de plus en plus glorieux.
— Dommage que notre futur roi, lui, soit davantage épris de culture que de chevalerie. J’ai ouï dire qu’il aime à s’entourer de savants et d’artistes qu’il prend sous son aile.
Sam se prit à galoper à dos de rêveries. Il se vit faisant partie de la suite du roi, chanter et se battre pour lui avec toute la ferveur des premiers troubadours. Il se vit habitant avec Jehanne à la belle maison du roi, Beauté-sur-Marne, que le monarque avait l’intention de faire restaurer pour y séjourner un peu à l’écart de la cour de Vincennes, ou encore à Vincennes même (94) . Il avait beau savoir que tout cela n’était que chimères, il ne pouvait s’empêcher de penser que la réalisation de tels rêves était possible. Après tout, cela n’était-il pas arrivé à Bertrand Du Guesclin qui était parvenu, lui, à se hisser bien au-dessus de la plèbe ? Sam pouvait-il arriver à se montrer aussi valeureux que le Breton si l’occasion s’en présentait ? Oui, il en était persuadé. De plus, avec un nouveau roi, tout devenait maintenant possible. L’avenir s’ouvrait à lui. Mais pour l’instant il lui fallait agir avec circonspection. Il rattrapa ses idées folles, leur passa la bride et leur caressa le museau.
Avant le lever du jour, il avait arraché et mémorisé la recette de la poudre à l’insu de l’artilleur ivre (95) .
« Avec ça, plus besoin d’être le plus fort », pensa-t-il avec satisfaction.
— Les voilà ! Ils arrivent, dit un chevalier d’une voix presque inaudible à son voisin. Il s’était vêtu en civil pour l’occasion et c’était aussi bien, car il avait dû, à l’instar de ses amis, se jucher sur un toit comme ces centaines de manants qui commençaient à acclamer le défilé et à agiter leurs fanions. La procession débouchait très lentement d’une rue étroite. À la lumière du jour, on remarquait que les façades des maisons avaient été débarrassées de leurs salissures. Des guirlandes en tissu et des draps décorés de fleurs étaient suspendus aux fenêtres en guise de tentures, car nombreux étaient ceux qui n’en possédaient pas. Ces décorations ondulaient comme de grands mouchoirs prêts à saluer les premiers hommes d’armes fervêtus. Eux-mêmes en précédaient plusieurs autres dont l’écu indiquait leur appartenance à la famille royale qui était à proximité. Les fleurs de lys allèrent effectivement en se multipliant sur les habits d’apparat (96)
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