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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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placée pour le savoir, car c’était à elle que revenait la tâche de puiser, de chauffer et de verser dans la grande cuve tapissée d’un drap l’eau de ces bains quotidiens.
    — Bigre, chuchota Blandine, allez savoir pourquoi je suis plus inquiète qu’avant.
    Depuis sa cachette, Sam attendit que le groupe se fût dispersé. Thierry et Lionel conversant à voix basse sans faire mine de vouloir entrer, il se coula dans la cuisine silencieuse afin d’y laisser sa canne à pêche, qu’il avait l’intention de remplacer par un bon couteau et un racloir à écailler les poissons. Quelque chose à grignoter n’allait pas être de refus non plus. « Le grand air, ça creuse », se dit-il. L’adolescent eut la main heureuse : d’invitantes bugnes* au miel, vraisemblablement confectionnées par Louis, attendaient de trouver preneur dans le grand bol à couvercle qui était posé sur le plan de travail. Il s’empara d’une pâtisserie et y mordit à belles dents, tout en revenant dans la grande pièce qui était calme et fraîche. Seules les voix des deux hommes lui parvenaient de façon atténuée par les volets entrouverts. Cela donnait au lieu une drôle d’ambiance. Sur le métier à tisser, la tapisserie incomplète de Margot patientait depuis le printemps. Une fois terminée, elle allait s’avérer un présent très utile : elle allait pouvoir servir de chauffe-mur, de cloison, ou même de fermeture pour une fenêtre. Sam fut intrigué par la discussion qui se prolongeait. Il s’enfourna le reste de la bugne* dans la bouche, s’essuya vaguement la main sur ses hauts-de-chausses et s’avança en direction des volets mal fermés.
    — … excès de propreté compulsive peut avoir sa raison d’être, était en train de dire le père Lionel à Thierry. Je crois qu’il s’efforce de laver le sang et la saleté qu’il sent collés à lui et qui ne sont pas forcément visibles pour nous. Un homme tel que lui doit sans cesse refouler l’attrait qu’exerce la cruauté. Peut-être est-il uniquement conscient des devoirs liés à sa fonction et qu’il doit accomplir. Pourtant, je ne peux simplement pas croire que détruire la vie puisse n’être pour lui qu’une besogne comme une autre. Non, il sait très bien ce qu’il fait. Sans trop s’en rendre compte, il prend la vie des autres et s’en repaît pour sentir qu’il existe, lui.
    — Voilà qui n’est pas bête. Mais, ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est…
    — Ah, vous voilà, vous, les interrompit la voix de Louis, qui revenait du ruisseau.
    Il paraissait de méchante humeur. Il dit au père Lionel :
    — Je vous avais pourtant dit de me suivre.
    — Mais je…
    — Bon, laissez tomber. Il ordonna à Thierry :
    — T’ai-je demandé ça, à toi ?
    — Non, bien sûr que non…
    — Alors, fiche le camp.
    Sam tira la langue au volet mi-ouvert et s’en rapprocha tout en prenant garde de bien se dissimuler. Louis parut attendre que l’ancien maître d’armes fût parti. Il y eut un petit bruit de papier. Lionel dit :
    — J’ai horreur de vos assignations.
    — Qu’importe. Lisez.
    —  « Du bayle Thillebert au maître Baillehache, au nom de S.M. le roi : l’exécuteur des hautes œuvres de la cité de Caen ne fera faute de se rendre ce mardi IV jour du mois d’octobre à la maison de justice, afin que soit dûment appliqué le jugement de la dénommée dame Isabeau d’Harcourt, née de Mareuil, à la décapitation pour complicité avouée dans le crime très odieux de haute trahison. La mise à mort aura lieu après tierce*, à la place Saint-Sauveur. »
    Sam recula sans bruit, pas à pas, comme s’il se trouvait subitement devant un prédateur. Il laissa sa découverte s’insinuer, se propager en lui. Horrible, dévastatrice. Cela ne pouvait être vrai. Un bourreau. C’était un bourreau. Un imposteur qui bénéficiait du soutien d’un roi. Voilà qui changeait tout.
    Sam leva ses yeux émeraude sur la forêt séculaire qui se dévoilait devant lui, sur la tapisserie. Dans sa débauche de végétation mystérieuse, bordée de toutes parts de pampres fleuris, deux créatures mythiques se faisaient face et se flairaient l’une l’autre. À gauche, une jeune licorne d’un blanc très pur, de toute beauté, avançait un nez velouté légèrement craintif vers la créature de droite, une manticore* noire au pelage hérissé dont les crocs dépassaient de sa gueule fermée, représentée en

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