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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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que moine, je m’efforce d’être le père que j’aurais aimé avoir. C’est une grave responsabilité que celle-là. Car, en plus de mes nombreux enfants, je dois m’élever moi-même. M’élever. Tenez, je n’avais jamais noté auparavant le double sens de ce mot. N’est-ce pas une révélation ? Qu’en pensez-vous ?
    — Je ne sais pas, répondit encore Louis qui avait échappé sa cheville et la récupérait avec une légère impatience. Il ajouta :
    — Je n’ai pas le temps de me poser toutes ces questions.
    Il était tiraillé entre son désir de travailler sans plus se soucier du moine qui jacassait comme une pie et celui de le toiser jusqu’à ce que sa langue intarissable fût enfin neutralisée. Mais quelque chose lui disait qu’il allait en falloir davantage pour le faire taire, cette fois-ci.
    — Très bien, je ne vous oblige pas à répondre. Je conçois que vous ne sachiez pas. Je cherche moi-même la réponse depuis longtemps et auprès de bien des gens, mais personne ne sait. Peut-être ne devons-nous pas le savoir ?
    Le bourreau se résolut enfin à ne plus s’en occuper et s’apprêta à planter sa première cheville. Il aligna les deux trous, celui du mur à celui de l’extrémité appropriée de son équerre. Quelques légers coups de marteau mirent la cheville en place et il se prépara à la planter.
    — Vous savez, j’aurais bien aimé pouvoir mieux connaître Firmin, dit Lionel.
    Le marteau rata sa cible et frappa le mur qui rendit un son creux. L’équerre dégringola avec un bruit de ferraille. Il ne resta plus dans le mur qu’un trou légèrement agrandi par une cheville plantée de travers.
    — Touché, dit Lionel en souriant. Enfin, une réaction. Je commençais à me demander si je parlais tout seul. Remarquez que je le fais souvent. Je m’apprends beaucoup de choses fort intéressantes. Croyez-vous que je sois fou ?
    Louis serra les dents et ne répondit pas. Il essaya de se concentrer sur sa tâche. Un chat tacheté traversa laborieusement la pièce avec dans sa gueule un grand chausson qui lui traînait en partie sous le ventre.
    — Voilà au moins la réponse à l’une de mes questions. Préférez-vous que je parte ?
    La question soudaine fit lever la tête au bourreau. Le moine demanda encore :
    — Maître, n’aimez-vous pas bavarder ?
    — Pas vraiment, non.
    — Pour moi, c’est essentiel, comme l’est la musique à laquelle j’ai dû si longtemps renoncer.
    « La musique », songea Louis, tandis que Lionel poursuivait :
    — J’estime que ce sont en fait deux aspects d’une seule et même chose qui s’appelle la vie. La vie dans ce qu’elle a de plus sacré, d’inaltérable.
    Tout en travaillant, Louis lui fit un petit sourire embarrassé, mensonge qui ne lui allait pas du tout.
    — Il n’y a pas à dire, vous êtes bien élevé. Vous êtes courtois, presque trop, remarqua Lionel.
    Les yeux de Louis retinrent un éclair.
    — Allons, allons. N’essayez pas de jouer au plus fin, mon fils, pas avec moi. Veuillez me le pardonner, mais j’en sais beaucoup plus que vous ne le croyez.
    Louis laissa tomber marteau et cheville à ses pieds et s’avança vers le moine qui ne bougea pas.
    — Que me voulez-vous, au juste ?
    L’aumônier avait encore bien visé, et ses excuses ne dupaient personne.
    — Moi, je ne vous veux rien. C’est plutôt l’inverse. C’est vous qui voulez quelque chose. Quelque chose de plus rare que ces coquillages translucides issus d’un autre monde.
    Il lui montra la coquille blanche.
    — Par chacun des pas qui m’ont mené jusqu’à la plage où j’ai recueilli cet objet et par tous ceux qui m’ont ramené ici, je vous jure que je ne lâcherai pas. Je serai votre ange gardien.
    Le moine s’approcha de Louis et lui imposa les mains. Le bourreau eut un mouvement de recul et sembla effrayé par la formule étrange que le moine prononça :
    —  Shema, Israël, adonaï elohenou, anonaï ehad.
    — Qu’est-ce que c’est que ce charabia ?
    — Vous voyez ? Vous n’êtes pas le seul expert à ce petit jeu-là. Cela signifie : « Écoute, Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est l’Unique. » Ici, il n’y a d’autre Seigneur que Lui. Souvenez-vous-en.
    — Voyons les choses en face, c’est ainsi qu’il se défend. Il se dérobe comme un savon mouillé. C’est très habile. Ce garçon n’est pas un monstre, loin s’en faut. Il se sent simplement traqué sans

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