Le mariage de la licorne
père ? demanda Hubert en se hâtant de venir à la rescousse.
— Non, excepté à l’orgueil peut-être, mais on ne doit pas en tenir compte.
Le meunier aida le moine à se remettre debout. Lionel regarda d’un air désolé le contenu éparpillé de sa caisse en se frottant les reins.
— Je n’aurais jamais cru que le métier de professeur pouvait s’avérer aussi dangereux.
— Mais pouvez-vous bien me dire ce que vous essayez de faire là-haut ? demanda Margot qui, elle aussi, s’était empressée de venir voir ce qui avait produit tout ce vacarme.
Hubert entreprit d’aider le religieux à ramasser le dégât. Lionel répondit, d’un air contrit :
— Du ménage. Je compte faire de ma chambre un lieu plus approprié pour recevoir un élève. Mais voilà : mes effets se sont tant empilés un peu partout, au fil du temps et au hasard de mes activités, que vous me voyez pourvu d’un bon atelier ainsi que d’une bibliothèque en vrac. Sam et mon dos m’ont convaincu qu’il valait mieux que je fasse quelque chose au plus vite. Bref, j’aurais besoin d’étagères. Et de mes chaussons, aussi. Je n’arrive pas à mettre la main dessus. Mais ça, c’est une autre histoire.
Hubert se gratta la tempe.
— Je vous ferais bien ça, mon père, mais il faut que j’aille au moulin. Toinot et Thierry sont aux champs avec Sam, et…
— … et maître Baillehache est là, lui, dit Margot. Il est revenu de la ville ce matin et s’est arrêté au village.
Ils se turent un moment. Lionel dit soudain :
— C’est, ma foi, vrai. Excellente idée, je le lui demanderai.
— Bon, eh bien moi, j’y vais, dit Hubert. Il s’arrêtera sûrement au moulin comme il a coutume de le faire. J’en profiterai pour lui transmettre votre message.
Il sortit, trop content de n’être le porteur que d’un message et non d’une demande directe.
Michou était un chat à rayures effronté. La queue dressée, il fila entre les jambes de Louis au moment où il fit son entrée, moins de cinq minutes après le départ d’Hubert, son bissac en bandoulière, les jambes gainées des vieux houseaux* qu’il s’était fabriqués lui-même. Il se tint sur le seuil à regarder les domestiques. Comme d’habitude lorsqu’il revenait d’une expédition en ville, tout le monde était mal à l’aise. Margot fut la première à aller au-devant de lui :
— Bien le bonjour, maître. Entrez, entrez, et débarrassez-vous. On ne vous attendait pas si tôt.
— Je suis parti de là-bas à l’aube et rien d’urgent ne m’attendait au village.
— Bien ! Il nous reste encore un peu de pain. Un goûter de tostes (117) dorées, ça vous dit pas ?
— Va pour les tostes. Avec de la cannelle. Tiens, j’en ai rapporté.
Louis montra son bissac et prit place à table où un bol de tisane fumait, trop chaud pour se laisser approcher. Pendant que Margot coupait d’épaisses tranches de pain complet qui avaient à peine commencé à rassir et les trempait dans un mélange d’œufs, de cannelle et de miel, Blandine arriva de la cuisine et confia à Louis, en lui faisant un clin d’œil :
— La damoiselle est en train de faire sa toilette dans la grande chambre inoccupée. Un bon feu flambe dans l’âtre et on y a déménagé la cuve du bain parce qu’on a besoin de la place dans la cuisine. Elle ne s’est probablement pas rendu compte de votre arrivée. Si nous lui faisions la surprise ?
Il prit le bol de tisane, en but comme si de rien n’était et fit un signe d’assentiment à la domestique ravie.
La voix de Lionel appela du haut de l’escalier, à l’autre bout de la maison :
— Mes hommages, jeune homme. Je serai à vous dès que j’aurai mis la main sur mes misérables chaussons.
Margot traversa la cuisine pour répondre, d’une voix forte :
— Regardez sous le lit, c’est là que vous les retrouvez d’habitude. Jehanne ?
— Non, mère, chut, intervint Blandine.
— J’ai regardé sous le lit. Il y avait bien quelques moutons, mais ils ne me sont d’aucun secours. J’ai cependant trouvé l’un des sabots de Sam et un jouet de chat. Ici, j’ai un chausson rouge. Un seul, et il est troué.
— Pour l’amour du ciel, mon père. Jehanne, m’entendez-vous ? Louis mastiquait sans mot dire en observant Margot qui, après avoir laissé les battants de la porte de cuisine ouverts, s’était mise à préparer des œufs brouillés à la ciboule avec un zèle
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