Le mariage de la licorne
Cela leur évite d’avoir à se déplacer au monastère pour les consulter. Cela dit, c’est très loin de suffire. Un jour viendra, peut-être pas de mon vivant, mais du tien, je l’espère, où les gens du commun auront eux aussi accès à la science du monde. Quel grand bienfait ce sera.
— Comment cela ? demanda Sam, maussade.
S’il écoutait poliment, il ignorait le pourquoi de cette rencontre et où le moine voulait en venir. C’était pour lui chose sans intérêt.
— Parce que j’ai ouï dire que notre nouveau roi aime à s’entourer d’artistes et de gens instruits. C’est un début.
Les yeux verts de Sam s’allumèrent, mais il feignit un intérêt poli :
— Vraiment ?
Lionel éclata de rire.
— Cher garçon ! Voilà qui ne peut te laisser froid, pas vrai ? Tu as du talent et je trouve inadmissible que tout cela soit gâché par les incessantes servitudes de l’existence. Il nous faut trouver un moyen de t’extraire de ces ornières. Tu me suis ?
— Euh…
— En attendant, prendrais-tu un peu de ce bon vin avec moi ? Je crois qu’il me reste encore un gobelet propre quelque part par là.
Sam rit avec lui et accepta un vin de Mâcon couleur rubis dont le seul aspect donnait la soif. Lionel reprit :
— Ne me dis pas que tu veux demeurer garçon d’écurie toute ta vie.
— Bien sûr que non. Mais je ne suis guère bon à autre chose et il ne me laissera jamais faire ce que je veux.
Lionel se mit en quête d’un livre qu’il trouva, rapporta et ouvrit devant Sam.
— N’en sois pas si sûr. Jette donc un coup d’œil là-dessus.
— L’histoire de Perceval ? Je ne comprends pas.
— Mais si, tu comprends. Donne-toi un peu la peine d’y penser. Ce petit forestier ne mena d’abord qu’une existence primaire. Il n’était qu’un pauvre nigaud, un goinfre.
— D’accord, c’est tout à fait moi.
— Je n’ai pas dit ça.
— Lui, si.
— Mais l’histoire raconte aussi qu’il est devenu l’un des plus grands chevaliers de la Table ronde.
Sam haussa les épaules et referma le livre. Lionel dit :
— Très bien, je peux comprendre qu’il t’en faut davantage pour te convaincre de prendre cette décision salutaire. Dans ce cas, accepte donc mon offre, ne serait-ce que pour faire plaisir à un vieil homme.
Sam inclina pensivement la tête et Lionel ajouta :
— Écoute bien. Quand j’étais à Saint-Germain-des-Prés, j’exerçais le métier de bibliothécaire. Si j’étais resté là-bas, j’aurais sans doute enseigné mes humbles connaissances à mon successeur ou à quelque novice apprenti. Mais cela ne m’est plus possible, maintenant. Tu sais, en tant qu’homme, je ressens depuis toujours le besoin de léguer quelque chose qui m’est propre à un membre de la jeune génération. Quelque chose de terrestre et d’orgueilleux qui me survivrait ici, en ce monde. C’est ce qui me manque le plus dans ma vie. Pour avoir un peu de cela, je suis même allé un jour jusqu’à apprendre le tir à l’arc. Cela ne m’a guère servi.
— Sans rire ?
Décidément, à y regarder de plus près, l’idée du père Lionel n’était pas dénuée de bon sens. Sam repensa aussi à l’artilleur de Crécy et trouva curieux que quelqu’un, pour une seconde fois, pût éprouver le besoin de faire de lui son héritier spirituel.
— Ce recueil de chants grégoriens est ce que j’ai de plus ancien dans ma collection, dit Lionel le premier jour, en ouvrant devant Sam un petit livre plat à couverture de cuir brun, très usée. Hormis quelques pampres, ce livre ne possédait aucune illustration.
Le moine l’ouvrit bien à plat, afin de lui en montrer la reliure.
— Il date de trois ou quatre cents ans. Vois comment il est fait : on n’a utilisé, pour le fabriquer, que quelques feuilles de parchemin que l’on a pliées d’abord en quatre, puis en huit, et enfin en seize, avant de les coudre et d’en couper les bords. Ce type de livre rustique s’appelle un codex. Ce sont les Romains qui, les premiers, commencèrent à utiliser des peaux pour l’écriture. Avant cela, on utilisait des rouleaux de papyrus.
— Des quoi ?
— Le papyrus est une sorte de parchemin grossier qu’on fabriquait dans l’Antiquité, à partir de fibres végétales. D’un type de roseau, surtout.
— J’en connais un à qui ça ferait du bien de savoir ça, dit Sam en portant la main derrière son dos.
— Ah ? Qui donc ?
— Non,
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