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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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faisait horreur.
    — Ce n’est pas que je ne veux pas les voir, au contraire. Tout le monde m’a tellement manqué. Lorsque Toinot est revenu à Caen pour me faire le message que le maître avait fait une mauvaise chute, je me suis sentie encore plus ingrate d’être partie. Non, je ne pourrais jamais me séparer de vous tous. Cela tient tout simplement au fait que je n’ai pas envie de travailler aujourd’hui.
    — Si tu attends que je te dise « N’y va pas », eh bien, voilà, je te le dis. N’y va pas. Il y a déjà deux femmes dans ce réduit et je crois qu’en introduire une de plus les obligerait à jeter des piles de linge dehors pour lui faire de la place.
    — Je vous crois.
    Ils s’éloignèrent du domaine et trouvèrent un rocher entouré de racines sur lequel ils prirent place côte à côte.
    — De plus, il est certaines choses dont je souhaite t’entretenir et qui sont plus importantes que la lessive. En voici une première : Samuel est de retour, lui aussi.
    — C’est vrai ?
    — Oui. Sais-tu ce que cela signifie ?
    — Mais pourquoi…
    Ce disant, le regard de Jehanne erra parmi les branches dénudées afin d’y repérer une pensée. Lorsqu’elle la trouva, elle baissa la tête. Lionel dit :
    — Tu vois. Je n’ai même pas besoin de te répondre.
    Et il se tut, respectant un silence devenu nécessaire. Il remercia secrètement la forêt de sa sérénité et de l’intimité qu’elle leur procurait : personne n’était venu rôder jusqu’à l’endroit qu’ils occupaient. Seule une brise imprégnée par l’humidité de la neige fondante respirait entre les arbres, comme endormie. Jehanne ne se rendit pas compte qu’elle s’était mise à se bercer comme le fait d’instinct un tout-petit cherchant à apaiser son tourment. Soudain, elle se réfugia dans les bras du moine.
    — Que puis-je faire, alors ? Oui, c’est un bourrel*. Mais je découvre que je l’aime quand même. Est-il vraiment mauvais ? Mon père, croyez-vous qu’il l’est ?
    — Toi, le crois-tu ? demanda doucement Lionel en se frottant le nez sur la tête de Jehanne.
    Il dit :
    — Moi, non. « Car il n’a ni méprisé ni rejeté le misérable accablé ; il ne s’est pas détourné de lui, il a entendu son appel (133) . »
    — Il n’est pas rentré ? demanda Jehanne qui, instinctivement, savait que Lionel avait fait référence à Louis.
    — Pas encore. Nous n’avons aucune idée où il peut bien être.
    La respiration du bois se modifia sous l’effet de quelque rêve secret. Lionel leva la tête et demanda :
    — Au fait, j’y pense… T’ai je déjà parlé du Chien ?
    Jehanne s’installa plus confortablement. La perspective d’un récit inédit l’alléchait déjà.
    — Vous savez bien que non. Quel chien ?
    — Difficile à dire. C’était le Chien. Il n’a jamais accepté de porter un nom. C’était à l’époque où je m’étais mis en route pour Compostelle. Sans toi. Tu me manquais terriblement. Je venais de quitter un gîte des environs de Najera pour reprendre ma route. C’était, je m’en souviens encore, un chemin rougeâtre. Il ressemblait à une balafre dans la terre et j’avais crainte de marcher dessus… Mais je m’égare. Toujours est-il que, tard cette journée-là, j’avais atteint la lisière d’une petite pinède. J’allais quitter la route – avec soulagement – pour y passer la nuit quand je remarquai, là, dans le fossé, un grand chien épuisé, couché sur le flanc. Il était visiblement mal en point.
    — Il était blessé ?
    — Affamé et brutalisé, plutôt. Le pauvre n’attendait plus qu’une chose, que la mort vînt le délivrer. Inutile de te dire que j’ai contraint la bête à manquer son rendez-vous avec cette vieille capricieuse.
    Il rit un peu.
    — Du coup, j’ai moi aussi manqué le mien. J’ai ramassé, nourri, lavé et soigné l’animal à l’endroit même où je l’ai trouvé et ce, plusieurs jours durant, afin de lui permettre de reprendre des forces. Il ne m’a laissé le toucher que pour le strict nécessaire. La moindre tentative de caresse s’est immanquablement soldée par un grognement ou une morsure de sommation.
    — Il avait peur ?
    — J’en doute. Il est demeuré avec moi cinq ans. Et, en cinq ans, il n’est pas devenu plus affectueux. Il me suivait toujours de loin, tête basse, aussi méfiant qu’un loup. Si je m’arrêtais brusquement, il s’arrêtait aussi ou

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