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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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faisait un écart en grondant. Mais tu n’as jamais vu un meilleur chien de garde. Je partageais ma nourriture avec lui, même s’il n’a jamais accepté de la manger tant que je ne m’étais pas éloigné à distance respectueuse.
    — Il a dû beaucoup souffrir.
    — C’est ce que j’ai pensé et cela va de soi. Mais il y avait autre chose, reprit Lionel avec un regard étrange.
    Il caressa distraitement du bout de ses longs doigts la mousse endormie qui poussait sur le rocher et continua, en retroussant la manche de sa coule :
    — La dernière fois que j’ai essayé d’y toucher, il m’a mordu le bras avec une hargne terrible. Regarde la marque, juste ici. Je suis content de posséder un souvenir tangible du Chien. C’est aussi précieux pour moi qu’une image. Oui, c’est très ressemblant. Lorsque je regarde cette cicatrice, je le revois tel qu’il était : brun tacheté, tout à fait quelconque. Il était bâtard, laid et maigre. Il avait toujours l’air crasseux et la pelade lui rongeait les flancs. Ses yeux étaient petits et sans aucune profondeur, constamment sur le qui-vive. Une bête détestable, vraiment oubliée de Dieu. Il n’a jamais voulu admettre qu’il veillait sur moi la nuit. Je l’aimais.
    — Comment avez-vous fait pour le garder ?
    — Contre toute attente, c’est lui qui ne m’a jamais quitté. Je m’interroge encore sur ses raisons. Il devait en avoir. Car il m’a suivi jusqu’à ta porte et est resté après.
    — Vous voulez dire que… c’était lui ? Guinefort ? Mais oui, cela me revient, maintenant. Brun tacheté.
    — C’était lui. Il a bien fallu que je lui trouve un nom, puisque Aedan avait lui aussi un chien.
    Jehanne se souvint aussi d’un matin de l’hiver précédent, quand Lionel s’était réveillé, stupéfait, avec à ses côtés le corps tout raide du Chien. Il avait lui-même creusé une fosse dans la terre à demi gelée. Et Lionel avait pleuré. Le moine reprit, comme s’il avait suivi les pensées de Jehanne :
    — Rien ne me forçait à l’enterrer. Mais j’ai tenu à le faire. C’était pour compléter l’histoire, tu comprends ?
    Il se frotta pensivement le menton.
    — Je peux encore sentir les glaçons alourdir ma barbe comme au moment de mon retour chez toi. Sans le Chien, ton fiancé ne m’aurait probablement pas trouvé à temps.
    — J’ai du mal à vous imaginer portant une longue barbe.
    — N’est-ce pas ? Mais ce n’est pas le pire. Essaie de me représenter en moine taciturne. Tu verras, l’effet est saisissant.
    — C’est drôle, mais il me semble qu’à moi vous me parliez là-bas, à l’abbaye. Mes souvenirs de vous ne sont pas muets.
    — Pourtant, je l’étais. Tu devais être capable de percevoir au-delà des mots. Les enfants possèdent ce don.
    — Peut-être bien. Qui a dit qu’un homme muet est ennuyeux comme la pluie ?
    — Crois-tu réellement que la pluie est ennuyeuse ?
    — Pas toujours.
    — Il faut comprendre ce que la pluie a à dire. Tout comme moi, quand je ne parle pas. Ce qui est de plus en plus rare.
    — Tant mieux !
    — Ce n’est pas là l’avis de ton fiancé. Lui, il préférerait de loin me voir muet. Je dirais même qu’il tolère tout juste ma présence.
    — Comme le Chien, laissa échapper Jehanne.
    — Bravo. Tu as fait le lien, et c’était le but de mon histoire.
    — Le lien ? Je ne vous suis pas.
    — À l’époque, j’étais loin de me douter que cet événement allait être utile à ma chère petite fille.
    Il y eut un silence ému. Puis Jehanne dit :
    — Je crois que maître Baillehache n’aime pas les animaux. Cela paraît moins évident avec les chats, qui sont discrets d’avance. Mais avec les chiens, il n’a qu’à les regarder dans les yeux pour qu’ils s’enlèvent de son chemin.
    — Ils doivent savoir d’instinct qu’il vaut mieux éviter de lui chercher noise.
    — C’est dommage, car moi, je suis folle des animaux.
    — Il y a tant de choses que tu aimes et que lui n’aime pas. À un point tel que je me demande comment il se fait que vous parveniez à faire la conversation.
    — Mon père !
    — Non, ne dis rien. C’est inutile. J’ai compris. N’avons-nous pas tout dit ? D’ailleurs, d’autres l’ont déjà dit avant nous. Et sans doute mieux que nous.
    — Vraiment ? Qui, par exemple ?
    — Tu souhaites vraiment que je parle encore ? Voilà qui est inquiétant. Eh bien, voilà : nous

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