Le mariage de la licorne
de reprendre son assiette et de ne pas lâcher les guides avant que la bête ne se dresse à nouveau. La crinière noire du cheval lui fouetta le visage, l’aveuglant momentanément, et il se sentit glisser. Fou de frayeur face à un type d’agression inconnu de lui, Tonnerre décochait des ruades et secouait l’homme qui s’obstinait à s’accrocher à lui par les jambes.
Les attaches de la selle sans troussequin se rompirent net. Brutalement désarçonné, Louis déboula dans le fossé et au bas de la pente. Sa canne l’y suivit. Elle tomba un peu plus loin parmi les fougères, où un homme portant cagoule la ramassa. Étourdi, Louis s’assit et l’aperçut. Il s’agissait donc d’un guet-apens. Le bourreau bondit pour dégainer son épée, mais sa jambe gauche se déroba sous lui et il retomba. Le cagoulard en profita pour lui sauter dessus. Après lui avoir administré un coup de canne sur la tempe, il la posa en travers de la gorge du géant inanimé et se mit à appuyer dessus de tout son poids. Bouche bée et yeux révulsés, Louis étouffait. Son champ de vision se rétrécissait. Il se mit à donner de furieux coups de reins pour se débarrasser du bandit solitaire. Sa main droite se porta en avant et tenta d’empoigner le visage dissimulé de son agresseur, de le contraindre à lâcher prise en lui crevant les yeux. De l’autre main, il parvenait à dégainer sa dague.
Le bandit était manifestement sans expérience. Il avait mésestimé la force physique et l’endurance de sa victime. Au moment où Louis, qui luttait contre l’inconscience, allait lui planter sa dague dans le flanc, le brigand se rétracta afin d’écarter son bras armé d’un coup de canne. Suffoqué, le bourreau se rassit brusquement en saisissant aveuglément l’agresseur par ses vêtements et se mit à le rouer de coups de poing au ventre. L’assaillant grogna de douleur avant de parvenir avec peine à se libérer. Il fila sans demander son reste.
À bout de souffle, pris d’une toux inextinguible et la tête encore pleine de sifflements, Louis regarda autour de lui. Il n’y avait plus personne en vue. Tonnerre était parti. Il espéra ardemment que le cheval était indemne et qu’il avait repris seul le chemin du domaine. Il allait devoir rentrer, lui aussi. Mais pas tout de suite, non. C’était au-dessus de ses forces. Il se laissa choir parmi les fougères et les baies de muguet qui saignaient. Là, il s’accorda enfin le droit de perdre conscience.
*
Hiscoutine, le lendemain
— Allez-vous finir par me dire ce qui se passe ? dit Jehanne à Lionel. Ce silence m’inquiète.
— Oui, je sais bien. Pardonne-moi si je ne suis point disert. Il y a là effectivement de quoi inquiéter, quand il s’agit de moi. Je réfléchissais.
Le petit pin secoua ses branches desquelles tombèrent mollement quelques paquets de neige mouillée. Jehanne sourit.
— C’est si bon d’être chez soi, dit-elle.
La première neige de la saison avait été abondante, mais à peine vingt-quatre heures après avoir tout recouvert, elle s’était mise à fondre en communiquant au paysage le doux parfum d’un mars lointain. Le père Lionel et Jehanne avaient décidé que c’était le printemps qui revenait leur faire un clin d’œil avant d’entreprendre son long périple vers le sud. Une balade en forêt était tout indiquée pour lui dire au revoir.
— Blandine a dû, elle, renoncer à sa promenade, dit Lionel. C’est bien dommage. Mais tu ne peux pas imaginer l’amoncellement de lessive qu’il y a à faire là-dedans.
Il regarda en direction de la maison. Là où ils se trouvaient, l’aile des serviteurs avec sa cuisine pouvait se deviner à travers les troncs humides. Lionel préférait ne pas trop penser à tous ces habits noirs, dont certains étaient maculés de sang.
— Oh, sans doute devrais-je rentrer moi aussi. Ils savent tous que je suis de retour, même s’ils ne m’ont pas encore vue.
Jehanne songeait tristement à la lourde tâche de maîtresse de maison qui, graduellement, lui était enseignée par Margot et à laquelle elle aurait éventuellement à faire face dans son intégralité. Mais elle ne bougea pas. Elle taquina du pied un petit tas de neige qui somnolait dans un creux du sentier. La journée était si douce ! L’idée d’aller s’enfermer dans cette pièce minuscule, saturée d’humidité par le cuveau d’eau bouillante, pour observer le travail des domestiques lui
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