Le mariage de la licorne
ensoleillées.
— C’est vrai ? Oh, Margot ! Puis-je aller les voir ?
— Après le raccommodage. Il faut profiter de la lumière. Non, mon enfant, ne discute pas. Sam, mon coquin, retourne l’attendre dehors. Tu laisses des flaques partout.
Le raccommodage souffrit considérablement de la distraction de la fillette cet après-midi-là, si bien que, en désespoir de cause, Margot finit par consentir à envoyer dehors une Jehanne engoncée dans des vêtements lourdauds.
Le preux chevalier Sam se plut tant à user de sa bravoure pour le bien de sa belle, enfermée dans la geôle de la tour, qu’elle fut secourue sept fois avant l’heure du souper.
Chapitre III
Le roi des mouches
Saint-Sauveur-le-Vicomte, hiver 1358-1359
Même de loin, même endommagée comme elle l’avait été par une occupation française datant de dix ans (11) , la forteresse était encore impressionnante. La tour trapue du donjon était flanquée d’un élégant châtelet d’un côté et, un peu plus loin de l’autre côté, d’une abbaye bénédictine. La grande forêt domaniale qui enserrait ce joyau ne cédait sa place qu’à une aire marécageuse qui se trouvait assez loin de là.
Le chevaucheur avait rallié le château en passant par Coutances, une ville d’allégeance française, alors que la plupart des cités alentour étaient soit navarraises, soit anglaises. Un sauf-conduit signé de la main de Jacques Froissart, le secrétaire de Charles de Navarre, lui avait permis d’effectuer cette dernière étape du voyage sans danger.
Louis arrêta son cheval et ordonna à sa compagne de descendre.
Il donna une petite poussée à Desdémone dont les pieds avaient été bandés. Il lui avait permis d’effectuer la fin du périple à cheval avec lui car elle souffrait trop et retardait son avancée. À contrecœur, elle se laissa glisser à terre et reprit sa marche pénible à ses côtés. Louis dit :
— Tu es ma servante, pas ma maîtresse. J’aurais dû te laisser à Caen.
Honteuse, Desdémone regarda à terre. Elle se prit à s’en vouloir de s’être appuyée contre lui pour se reposer un peu. Il avait pris cela pour une marque d’affection. C’en était une, bien entendu, mais elle avait voulu éviter qu’il en eût conscience.
— Je suis très lasse, dit-elle.
— Lorsque nous serons là-bas, je ne veux pas te voir traîner autour de moi, c’est compris ? Même si nous devons dormir aux écuries.
— Oui, maître.
Louis se tut et regarda droit devant lui. Il doutait fort de passer plus d’une nuit à Saint-Sauveur. Que le roi de Navarre lui accorde audience l’inquiétait, d’autant plus qu’il n’avait rien demandé de tel. Une audience royale était un immense honneur que l’on dispensait au compte-gouttes à la roture et, à sa connaissance, jamais à un bourreau. Roi et exécuteur se trouvaient aux deux extrémités de l’échelle sociale. S’ils se voyaient, c’était toujours de loin, l’un du haut de son dais et l’autre depuis l’échafaud. L’un donnait des ordres et l’autre y obéissait. Mais l’un des deux seulement avait les mains tachées de sang ; ce n’était pas celui qui tenait le sceptre.
À leur arrivée au château, on leur permit de se restaurer, de prendre un bain et de se changer. Après quoi l’homme en noir, qui suscitait déjà des murmures, fut seul introduit dans une antichambre où attendaient quantité d’autres gens importants, tous vêtus de leurs plus beaux atours. Il se décoiffa poliment et recula dans un coin sans s’asseoir, la main serrée sous le pommeau d’étain de sa canne rouge soigneusement astiquée. Des gens chuchotaient entre eux en lui jetant de furtifs coups d’œil. Visiblement, il était le seul roturier présent dans cette salle et tous semblaient se demander qui il pouvait bien être exactement. Il entendit distinctement une femme critiquer son habillement démodé et ses bottes de feutre noir aux poulaines trop courtes. Tant pis. Il avait mis son meilleur habit sous son floternel* et il ne pouvait faire mieux. Peu à peu, l’antichambre se vida. Deux heures passèrent. Louis finit par se retrouver seul, à fixer des yeux une tapisserie aux intimidantes armes de la Navarre.
À la cour de Saint-Sauveur, en dépit d’une forte présence navarraise, on parlait le français de Normandie qui était la langue des maîtres de l’Angleterre. Engoncé dans une mante d’azur bordée d’hermine, le petit roi de Navarre
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