Le mariage de la licorne
me dites-vous là ?
— N’ai-je pas été suffisamment clair ? Je vais la déflorer. Le mariage sera consommé. Il sera impossible de l’annuler (136) .
Lionel repensa à l’objet oblong caché dans l’armoire et ne put réprimer un frisson à l’idée de ce à quoi allait possiblement ressembler cet acte barbare, dénué de toute la sensualité charnelle qu’était en droit d’attendre une jeune épouse toute disposée à aimer son nouveau mari. Il soupira :
— Mon fils, c’est là chose très orgueilleuse de votre part que de mettre sur le dos de Jehanne la défaillance qui vous afflige. Il ne s’agit pas là seulement de sauver les apparences. Nous parlons ici d’une créature sensible et aimante qui vous sera donnée comme compagne, non pas comme victime.
— Je ne lui ferai pas plus de mal que nécessaire. Je sais comment m’y prendre. Mais tout cela devra rester entre elle, vous et moi…
Il adopta un ton théâtral narquois avant de se lever.
— … si vous tenez à ce que je sois bon et compréhensif envers elle.
— Maître, attendez.
Le bourreau consentit à se rasseoir.
Lionel réprimait avec peine son envie de saisir cet homme et de le secouer, de l’extraire par la force de sa condition d’homme-machine qui en avait fait une créature égoïste et isolée. Il voulait lui montrer à quel point il se trouvait dans l’erreur depuis des années, qu’il était bien un humain relié aux autres d’une façon primordiale et poussé par les instincts de vie qu’il s’évertuait précisément sans cesse à renier. Ce qui lui était offert avec le mariage allait beaucoup plus loin que les seules conséquences sexuelles de sa nuit de noces. Il lui était enfin accordé l’immense faveur de pouvoir vivre dans un milieu propice à évoluer.
— Qu’en est-il d’elle, justement ? Y avez-vous pensé ?
— Expliquez-vous.
— La vie, l’amour et l’élévation de l’âme ne sont qu’une seule et même chose, mon fils. L’absence de sexualité et des plaisirs qu’elle procure n’altère en rien cette force de vie là qui, elle, est beaucoup plus profondément enracinée, plus fondamentale.
— Je n’aurais pas dû vous demander de vous expliquer. Bon, je suppose que vous voulez entendre ma confession, maintenant ?
— Un instant, je n’ai pas fini. Elle vous aime. Et être aimé implique qu’il faut pouvoir aimer soi-même.
— Ouais.
— Elle attend beaucoup de vous. Si vous voulez un conseil… oh, je sais, vous n’en voulez jamais… Il ne faut pas la décevoir. Songez à ce que cela signifie. Cela signifie qu’elle tient à vous en tant qu’homme, et que pour vous elle est prête à de nombreux renoncements. Accordez-lui au moins la chance de vous prouver cet amour.
— Ouais.
— J’espère que vous lui parlez davantage qu’à moi.
Louis songea à l’entretien qu’il avait eu avec Jehanne. Cela l’avait troublé et il craignait de l’admettre. Tout de suite, il se mit sur la défensive :
— L’amour. Il n’y a rien de plus perfide, dit-il.
Le petit banc craqua sous le poids du bourreau. Lionel ajouta :
— Maître, j’ai voulu vous parler comme un ami, non pas comme un prêtre. Vous ne vous sentez pas à votre place, ici.
C’était une affirmation. Louis dévisagea son interlocuteur sans rien dire. Pour une fois, il ne pouvait s’empêcher d’afficher son étonnement.
— C’est bien, maître. Ne me mentez jamais, pas à moi.
Après un long silence, Louis finit par demander, avec hésitation :
— Bien… C’est tout ?
Lionel le regarda un moment à travers le grillage du confessionnal. « Dieu, donnez-moi la force », se dit-il.
— Non. Non, ce n’est pas tout. J’ai encore à entendre votre confession générale comme vous me l’avez vous-même proposé. Mais, auparavant, j’aurais quelque chose à vous demander.
— Je vous écoute.
— Vous connaissez sûrement le commandement évangélique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ?
— Oui.
— Que signifie-t-il pour vous, ce commandement, vous qui venez de me certifier que l’amour est perfide ?
Louis observa le moine à la dérobée. Les choses se corsaient. Il n’aimait pas le tour qu’elles étaient en train de prendre. Lionel demanda encore :
— Iriez-vous jusqu’à prétendre que Jésus a tort de croire en l’amour ?
— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.
— Alors ?
Le colosse parut
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