Le mariage de la licorne
pardon… Ce n’était pas pour vous manquer de respect.
Jehanne l’avait toujours connu habillé de noir de la tête aux pieds. Cela lui fit une drôle d’impression de le voir arborer quelque chose de pâle et de plus léger.
À son tour, la nouvelle mariée disparut derrière le paravent. Elle y demeura plus longtemps que lui pour faire inutilement sa toilette, se mouillant d’eau de lavande alors qu’elle avait déjà pris un bain additionné d’eau de fleur d’oranger, du jus d’un citron, reconnu pour son effet dégraissant, et de sauge fraîche préalablement bouillis et infusés ensemble. La jeune femme effarouchée cherchait à retarder le plus possible l’instant à la fois désiré et redouté. Elle brossa ses longs cheveux interminablement avant d’en faire une tresse. Elle s’attendait à ce que Louis, impatient, l’appelât ou vînt abattre le paravent pour la tirer jusqu’à la couche, mais il n’en fit rien. Elle l’entendit ouvrir les volets et y mettre les crochets afin que le vent ne les fît pas claquer. Il demeura là, à regarder palpiter les dernières braises des feux de camp. Rien d’autre ne bougeait plus dans la cour, hormis le vent qui vint taquiner ses cheveux. Près de la cour, dans un étang pour l’heure invisible, les grenouilles s’étaient réunies et avaient pris la relève des ménestrels.
Un craquement le fit se retourner. Une forme blanche auréolée de tulle s’avançait lentement dans la chambre. Jehanne avait enfilé des mules et un vêtement de nuit presque transparent qui s’attachait sur le devant par des petits cordons faits pour être détachés.
Louis ne voulait rien brusquer. Il laissa sa femme entreprendre ce qu’elle semblait désirer plus que tout au monde, soit une exploration approfondie de la chambre conjugale. Quand elle en eut terminé, elle se retourna vers Louis, qui avait eu la patience d’attendre. Elle proposa avec un empressement exagérément servile de ranger ses effets à lui.
— Non. Je m’en occuperai plus tard.
Il ne songea pas un instant qu’elle pouvait chercher à gagner du temps, à ne pas voir survenir tout de suite l’inévitable issue de cette journée qui était censée être la plus belle de sa vie. Elle ressentait soudain le besoin de prendre le temps d’y repenser, de se faire à l’idée. Elle qui, au matin encore, pouvait se permettre de grimper aux arbres sans trop susciter de réprobation, voilà qu’elle se retrouvait subitement dans la peau d’une dame, d’une femme mariée. Et son mari était là, il la regardait et il attendait de coucher avec elle.
Jehanne tâcha de se raisonner. Elle avait eu sept ans pour se préparer à ce moment. Elle n’avait plus d’excuses. Son éducation stricte reprit le dessus. Son nouveau statut d’épouse impliquait dorénavant un certain sens du devoir. De plus, sa soif de connaître de nouvelles caresses, la douceur et la patience silencieuse de Louis eurent raison de ses dernières réticences. Elle s’avança vers lui. Elle libéra sa longue natte lâche qu’elle avait enroulée pour la protéger de l’eau et garda les yeux baissés. Elle croisa les mains sur sa poitrine, car le vent gonflait sa chemise mince, lui donnant déjà l’impression d’être nue.
Louis ne bougea pas. Si Jehanne n’avait tant désiré cet homme sans trop savoir exactement ce qu’elle en désirait, le regard scrutateur qu’il posait sur elle l’eût sans doute terrorisée. Mais elle le laissa l’examiner, ce qu’il fit avec une curiosité non feinte : à la lueur des chandelles, la peau de la pucelle semblait faite d’une cire très pure. De petites boucles folâtres s’échappaient déjà de sa natte pour souligner la délicatesse de son cou et pour encadrer son visage aux joues veloutées. Cette grâce juvénile, un peu craintive, même un roc n’eût pu y rester insensible. Louis avait beau ne plus éprouver les pulsions sexuelles menant à l’érection, il savait reconnaître la valeur de l’offrande qui lui était faite. Il se délecta de la pureté sculpturale, parfaite de ce jeune corps, perfection que, pour une fois, il n’était pas contraint de détruire. Et c’était à lui. Quelque chose de nouveau, de différent l’enivrait. Lui qui s’était fait à l’idée de ne jamais avoir d’autres contacts sociaux que ceux de sa pratique, donc essentiellement centrés sur des échanges négatifs, ressentait tout à coup le besoin pour lui inexplicable de
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