Le mariage de la licorne
que leur hôte n’eût jamais consenti sans l’apport de la musique. Louis était un ménestrel dans l’âme.
Il tendit sa grande main. Jehanne s’avança encore. L’appel était irrésistible.
« Entrez, licorne, dans mon jardin
De la manticore* soyez le bien
Si, ma belle femme, vous me baisez
La douleur en moi sera apaisée. »
Accompagné de rires surpris, Louis sauta en bas de la table et chancela avec beaucoup de dignité jusqu’à Jehanne dont il prit la main. Le chant s’arrêta là. Jehanne emprisonna Louis dans une étreinte si forte qu’il en resta figé. La fin du chant laissa Lionel au bord de l’abîme.
— Maintenant, je vais danser avec ma femme, dit Louis. Il tourna la tête en direction des ménestrels et dit :
— Hum… choisissez quelque chose de lent. J’ai été un peu audacieux et je ne connais rien à la danse.
Les musiciens s’esclaffèrent.
— Vous gagneriez à vous saouler plus souvent, compère, dit Sam. Louis et Jehanne ouvrirent enfin le bal avec une danse qui ne ressemblait à rien de connu, mais la proximité qu’exigeait Louis de sa partenaire eût scandalisé tout autre prêtre que Lionel, qui souriait béatement aux premières étoiles. Jehanne fut étonnée d’apprécier ce qui ressemblait davantage à une douce étreinte qu’à une danse. Le visage tanné de Louis était toujours aussi dur, mais une lueur d’amusement éclairait ses prunelles sombres. On eût dit que ses yeux, au moins, savaient sourire. Elle lui caressa l’épaule.
— Vous êtes plutôt séduisant, vous savez, dit-elle.
Louis émit un grognement. C’était une sorte de ricanement, mais dénué de la qualité libératrice d’un vrai rire.
— « Plutôt » ? En voilà un compliment honnête, dit-il.
— C’est la vérité. Les gens ne prennent pas le temps de bien vous regarder parce qu’ils vous craignent. Mon Dieu, s’ils savaient ce qui leur échappe ! Vous m’avez agréablement surprise, ce soir.
Louis ressentit à nouveau cette vague angoisse, celle d’avoir laissé les choses aller trop loin. Son regard devint fuyant. Il erra pour se poser quelque part par-dessus l’épaule de Jehanne. Elle vit cela et corrigea, avec précipitation :
— Pardon. Ai-je dit quelque chose de déplacé ?
— Non.
— Il faut que je vous dise… Je… j’apprécie beaucoup votre délicatesse.
— Ah ?
— Oui. C’est vrai. C’est que j’ai entendu… tellement d’histoires.
— Quel genre d’histoires ?
Elle baissa honteusement la tête. Sans qu’elle sût pourquoi, elle était réticente à lui avouer ce qu’elle avait entendu dire par Margot, mais aussi ce que lui avait dit l’une de ses copines d’adolescence, la fille du cordonnier. Elle avait douze ans à l’époque, et cela l’avait profondément dégoûtée : « Mon Martin avait ses mains partout sur moi, et sous mon corsage, encore ! Il me baisait si goulûment que j’avais l’impression d’être son repas, et j’étais point contre », lui avait-elle raconté d’un air ravi.
Jehanne se demanda si elle allait voir les choses différemment à quatorze ans, et avec cet homme distingué qu’elle aimait, qu’elle désirait ardemment tout en ne parvenant pas à s’imaginer lui servant de repas.
Louis avait baissé les yeux sur elle. Il attendait. L’un de ses bras lui entourait respectueusement la taille, tandis que son autre main avait pris la sienne. Ainsi se tenaient-ils très proches l’un de l’autre sans s’étreindre. Sa main libre à elle s’était posée sur son épaule. Des mèches de cheveux sombres lui effleuraient les doigts.
— C’est bien, dit-il, l’invitant à poursuivre.
— Cela m’inquiète un peu. Vous comprenez ? Je n’y connais rien.
Pendant une seconde, la jeune femme eut envie de lui demander si lui y connaissait quelque chose. Mais elle se mordit les lèvres. Il avait trente-trois ans. Margot l’avait assurée qu’au mariage la plupart des hommes possédaient déjà une certaine expérience sexuelle. Nul ne pouvait cependant se douter comment, depuis ses fiançailles, Louis avait pu acquérir la sienne. Dans son cas, les cachots de Caen avaient remplacé le bordel. Il y avait consacré davantage de temps à l’étude de l’anatomie féminine et de ce qui était susceptible de leur plaire.
— N’ayez pas de souci. Je m’occupe de tout, dit-il.
Avec n’importe qui d’autre qu’elle, son ignorance relative à propos des femmes
Weitere Kostenlose Bücher