Le mariage de la licorne
protestations de la foule. Louis chancela.
D’Asnières n’offrit pas à son opposant la chance de déclarer forfait. Il se mit à frapper sans relâche, se riant des projectiles dont les spectateurs commençaient à le bombarder. Il pouvait très bien se passer de leur estime si Baillehache mourait de sa main. Ce dernier se recroquevilla et fut incapable de se redresser. Il avait lâché son bouclier afin de tenir son épée à deux mains. Un coup de travers porté aux mollets gainés de cuir et Louis tomba à la renverse. Il se tourna sur le côté.
Le jeune écuyer s’approcha pour clouer son adversaire terrassé au sol. Au moment où il s’apprêtait à pointer du bout de sa lame l’épaule blessée du bourreau, il lui ordonna :
— Jette ton arme.
Mais Louis refusa. Il se retourna brusquement sur le dos et frappa de toutes ses forces son assaillant à la jointure du coude, là où deux plates d’acier étaient rivetées ensemble. Sans sa manche de mailles, d’Asnières aurait eu l’avant-bras sectionné. Mais le coup fit tout de même beaucoup de dégât. Il déforma la carapace de fer, réduisant la mobilité du bras. Louis s’était relevé et, avec la vitesse d’attaque d’un serpent, il se mit à frapper au même endroit. Sa vue se brouillait et il arrivait tout juste à tenir debout. D’Asnières reculait, et là se trouvait son salut. Louis frappa, frappa sans répit en ahanant jusqu’à ce que son adversaire trébuche dans un bout de sa propre lance. Philippe s’écroula une nouvelle fois. Le picot de l’épée de Louis se posa sur son colletin*, sous les hourras redoublés de la foule.
Passé un premier moment de stupeur, le bourreau se souvint qu’il convenait de relever la visière du vaincu, ce qu’il fit à l’aide de la pointe frémissante de sa lame.
Le bras rompu de Philippe d’Asnières pendait de travers dans ses plates tel un gros crustacé sanglant.
— Non ! non, pitié, rugit le blessé.
Louis enleva son heaume et sa cale* d’une main gauche malhabile. Des mèches trempées lui tombèrent mollement sur le front et y adhérèrent tandis qu’il baissait les yeux, d’abord sur le jeune noble, puis sur le fragment de lance dans lequel les pieds de ce dernier étaient restés empêtrés. Il se pencha pour prendre le bout de bois peint en bandes de couleurs vives. L’embout en était encore muni du rochet qui y avait été fixé : sous un faux arrondi de verre brisé avait été camouflée une pointe d’acier conçue pour porter un coup fatal. Louis ne la brandit pas de sa main tremblante, et pourtant les spectateurs comprirent. Ils se mirent à huer d’Asnières de plus belle.
— Par messire saint Michel, m’amie, dit Charles à une Isabeau dont le visage était devenu blanc comme un linge, votre neveu n’est qu’une canaille. Il eût dû être disqualifié. Mais Baillehache ne fera pas grâce.
La découverte de ce rochet truqué était suffisante pour que l’exécuteur décidât, et ce sans le moindre remords, de passer le tricheur par le fil de son épée. C’eût été son droit et personne n’eût songé à le lui reprocher. Pourtant, le bourreau se contenta de jeter le bout de lance sur la poitrine du vaincu et se détourna, quittant le champ clos sans saluer personne. Il ne remarqua pas les spectateurs qui l’ovationnaient pour sa clémence ni l’écuyer royal qui lui avait été dépêché pour s’occuper de Tonnerre.
On mit une demi-heure à retrouver Louis, qui s’était terré dans un coin où il avait apparemment commencé à se soigner lui-même avant de perdre connaissance.
*
Isabeau lissa les plis de sa robe de camocas*. Elle baissa la tête et respira profondément avant de cogner à la porte. Elle ne fut qu’à demi surprise de voir Baillehache lui ouvrir en personne.
— Bonjour, maître. Votre servante passe tout son temps aux cuisines, même en soirée comme maintenant. Il ne faut donc pas vous étonner si vous êtes obligé de tout faire vous-même. Comment vous portez-vous ?
— Bien.
— Et votre épaule ?
— Mieux. Merci.
Isabeau rit tout bas. Elle ne doutait pas que Louis eût répondu la même chose si son épaule avait été complètement disloquée. C’était un coriace.
— Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il.
— C’est que… j’ai une molaire qui me fait un peu mal. J’ai ouï dire que les gens de votre métier connaissent de bons remèdes contre les maux de dents.
— De remède
Weitere Kostenlose Bücher