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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pour cela, je n’en connais qu’un : c’est d’extraire cette dent.
    — Oh…
    Elle regretta de n’avoir pu trouver mieux comme excuse à sa visite. Il attendait là, sans l’inviter à entrer. C’était vraiment un malappris et elle se trouva soudain bête d’être venue jusque-là. Mais il était trop tard pour reculer. Elle dit :
    — Eh bien, dans ce cas, pouvez-vous m’examiner ?
    Louis la regarda un instant sans rien dire. Le médecin du roi était au château, son barbier aussi ; pourtant, c’était lui qu’elle venait voir. Étrange. Enfin, il ouvrit complètement la porte et lui permit d’entrer.
    — Merci, dit-elle.
    Il referma la porte derrière elle et la verrouilla. Cela rendit Isabeau nerveuse. Elle regarda autour d’elle. Rien n’avait changé dans la chambre, exception faite de la présence d’une vieille malle. Il flottait dans l’air une légère odeur masculine qui n’était pas sans rappeler celle du terreau. Elle se tourna vers lui.
    — Asseyez-vous, dit-il en lui montrant de sa main tendue l’un des faudesteuils*.
    Elle obtempéra et, tout en se demandant quel risque elle allait prendre si elle lui avouait tout de suite la vérité, le regarda allumer une chandelle sur son bougeoir avec un brandon cueilli dans l’âtre. Car elle n’avait absolument pas envie de se faire arracher une dent pour rien, surtout pas par lui.
    Le dentiste inquiétant s’approcha avec son bougeoir à la main. Il posa près d’elle une affreuse paire de pinces qui ressemblait davantage à un objet servant à la torture qu’à un instrument médical et dit :
    — Ouvrez la bouche.
    Cela avait décidément été une mauvaise idée. Jamais auparavant Isabeau n’avait eu conscience avec autant d’acuité de la vulnérabilité du patient qui devait accepter de se confier aux soins d’une autre personne.
    La sévérité du visage penché au-dessus du sien était accentuée par les ombres que la chandelle y dessinait. Louis avait froncé les sourcils et elle put voir se refléter dans ses yeux sombres deux petites flammes d’or. Soudain, elle sursauta : il lui avait pris le menton afin de lui tourner la tête de côté.
    — Du calme, dit-il et, sans avertissement, il lui planta l’index dans la bouche.
    Elle frémit au contact des poils minuscules de sa phalange qui lui chatouillèrent la lèvre supérieure. Elle sentit le gros doigt appuyer de façon répétitive contre une dent.
    — Celle-là ?
    Isabeau hésita et dut se résoudre à essayer de parler avec le doigt de Louis dans la bouche. Elle parvint à articuler :
    — Est un pfeu henhible.
    — Il y a une tache. Pas grosse. Ça m’étonne même qu’elle vous fasse mal. Que décidez-vous ?
    Le bourreau se redressa.
    — Je… est-ce que… si on attendait une autre fois ?
    — Comme vous voudrez.
    Il ramassa son instrument et le rangea. Isabeau ne bougea pas de son siège. Maintenant qu’elle avait mis le pied dans cette chambre, elle n’avait pas l’intention d’en sortir tout de suite, surtout après avoir échappé de justesse à une terrible épreuve. Si au moins il pensait à lui offrir à boire, elle aurait une raison de rester. Il y avait un cruchon de vin entamé qui attendait sur une petite table, près d’un grand bol en grès emprunté aux cuisines. Le silence était embarrassant. Pour elle, en tout cas, car lui ne semblait pas pressé de le meubler. Il se contentait de se tenir debout devant elle, maladroit. La dame sut que ce n’était pas par rudesse, mais plutôt parce qu’il ne savait simplement pas comment s’y prendre en société. Elle dit :
    — Je tenais à vous remercier pour la façon dont vous avez défendu mes couleurs. C’était admirable. Admirable et inattendu, je dois dire. Vous avez pris de court bien des gens.
    Il ne fit qu’un signe de tête. Il était soulagé que cette journée soit enfin derrière lui et espéra qu’il n’aurait plus jamais à se soumettre à une épreuve similaire.
    Isabeau le revit clairement en début de joute, se présentant à cheval devant elle, tenant sa lourde épée en travers du pommeau de la selle. L’écu, dont nul ne s’était moqué sauf les juges, luisait, et son bras était décoré d’une écharpe qui, après une heure, lui était revenue plus précieuse qu’avant. Les cheveux du bourreau dansaient sous la brise. De sa posture et de son regard hypnotique émanait une dignité presque royale, et pourtant sobre. Il s’était

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