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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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allez manquer votre souper.
    — Vous aussi.
    — Non. Pas moi. Je préfère manger ici.
    — Et moi, je préfère goûter à vos matefaims*.
    Louis posa le tranchoir sur la table et approcha les deux faudesteuils*. Il l’invita d’un geste à s’asseoir devant lui, ce qu’elle fit.
    — Je n’ai pas pris de hanap, dit-il avant de boire un peu de vin à même le goulot du cruchon.
    Il le lui tendit sans façons. Elle en but et trouva cela drôle. Elle inclina coquettement la tête et dit, songeuse :
    — Plus je vous regarde, moins je trouve que vous convenez à l’idée qu’on se fait de vous.
    — Ah bon.
    Il roula un matefaim* et mordit dedans pendant qu’Isabeau précisait sa pensée.
    — Peut-être imagine-t-on à tort que les bourreaux ne sont que des brutes sanguinaires.
    — Certains le sont. La plupart d’entre eux sont des condamnés qu’on a graciés.
    — Et vous, comment en êtes-vous venu là ?
    — Je suis aussi un condamné qu’on a gracié.
    Elle réprima un frisson.
    — Pour quel délit ?
    — Je m’en suis pris à un noble.
    — Oh, mon Dieu.
    Elle posa la main sur son cœur comme si elle s’attendait soudain à le voir se lever pour lui sauter dessus. Au lieu de quoi il dit :
    — N’ayez crainte, il s’en est sorti. Mangez. Ça refroidit vite.
    Elle fit comme lui et roula l’une des épaisses crêpes avant d’y mordre.
    — Hum, c’est délicieux. Si l’on m’avait dit qu’un jour j’allais manger de la nourriture préparée par un bourrel* !…
    — Justement. Puisqu’on en parle, pourquoi le faites-vous ? Pourquoi êtes-vous là ?
    Cette visite qui se prolongeait n’était pas convenable, et tous deux le savaient. Isabeau n’avait pas envie de lui expliquer la véritable raison de sa présence. Pas tout de suite, en tout cas. Elle choisit la forme de mensonge la plus efficace : elle opta pour la vérité.
    — Charles… Le roi m’a déléguée pour vous informer de deux ou trois choses. La première concerne son souhait de vous voir assister à ses audiences quotidiennes. La seconde est de nature plus… personnelle.
    — Je vous écoute.
    — C’est au sujet de mon neveu Philippe.
    — D’Asnières.
    — Oui. Écoutez. Vous avez déjà vu par vous-même comment il est. Il a commis une bêtise. J’ignore de quoi il s’agit exactement. Cela a quelque chose à voir avec Du Guesclin (19) . Mais Charles soupçonnait quelque chose de louche depuis un certain temps déjà, et son comportement inacceptable à la joute n’a fait qu’exacerber ses doutes et le motiver à en savoir davantage. Il exigera donc que vous… le mettiez à la question.
    Louis ne dit rien. Il finit sa crêpe et repoussa son tranchoir avant de prendre le cruchon de vin. « Voilà qui explique cette visite », songea-t-il. Isabeau continua :
    — Je connais votre opinion à son sujet, maître, et vous avez bien raison.
    — À vrai dire, je n’ai pas d’opinion.
    — Moi, si. Philippe n’est qu’une tête brûlée qui tient à se démarquer coûte que coûte.
    — Je connais ce genre d’hommes.
    — Il ne pense pas à mal. Il ne sait même pas ce qu’il fait. Seulement, je vous demanderais de ne pas profiter de la situation pour…
    Elle ne put terminer sa phrase. Il le fit à sa place.
    — … pour lui faire subir la torture à outrance.
    — C’est cela, dit-elle dans un souffle. J’irai même plus loin en vous demandant de bien vouloir lui épargner ces tourments. C’est mon unique neveu et il m’est très cher. Je ferai tout ce que vous me demanderez. Tout. Je vous en conjure, ne lui faites pas de mal. Nous pourrons nous arranger pour que Charles n’en sache rien.
    Isabeau prit dans les siennes la main du bourreau. Elle la tint comme un objet précieux.
    — Louis…
    — Dame, il y a peu de place pour autre chose que la souffrance dans ma profession. Mais sachez que je n’en inflige pas inutilement.
    Il se leva. Sa main demeura emprisonnée dans celle de la femme.
    — Tout ce que je peux faire, c’est de prier avec vous pour qu’il cède avant qu’on en vienne là, dit-il.
    Alors que Louis s’éloignait de la table et que son bras demeurait tendu vers Isabeau qui le retenait, la femme, soudain suppliante, essaya de le tirer vers elle.
    — Je vous traite en ami malgré ce que vous avez fait à mon défunt mari et j’ai évité de vous juger comme l’ont fait tous les autres. En obéissant à cet ordre horrible, vous torturerez

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