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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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respectueusement incliné devant elle. Isabeau avait passé la nuit suivante à rêver de cette image. Il avait sans cesse trotté dans sa direction sur son destrier noir et l’avait fixée jusqu’à ce qu’elle ne vît plus que sa poitrine. Alors elle l’avait perdu de vue dans les mailles noires de sa broigne*. Il l’avait étreinte. Lui, le bourreau. Cela avait été un rêve merveilleux. Ses sentiments l’avaient trahie et elle ne pouvait rien y faire.
    — Les palefrois m’ennuient, maître. M’offrirez-vous demain le plaisir d’une balade sur votre fougueux destrier ?
    — Euh… d’accord.
    Il avait entendu dire que c’était la mode.
    La dame d’Harcourt s’étonnait de sa propre audace. Si la proximité du bourreau demeurait inquiétante, il lui facilitait quand même les choses sans le savoir. Il gardait un calme stoïque en dépit de la violence dont elle l’avait vu capable. Il prenait le temps d’étudier soigneusement chacune de ses paroles laconiques.
    — Baillehache. Est-ce un nom chrétien ?
    — Je n’en ai pas la moindre idée.
    — S’agit-il de votre vrai nom ?
    — C’est sans importance. Mon nom sera effacé par celui de mes successeurs.
    — Ah, je crois que je comprends. Vous devez cacher votre véritable identité pour protéger les vôtres en cas de représailles.
    Il ne la contredit pas. Elle avait elle-même trouvé réponse à sa question, et cette réponse faisait aussi son bonheur à lui. Sans un mot, il se détourna afin de mettre à chauffer dans l’âtre une pierre plate. Après quoi il entreprit de touiller le contenu du bol avec une cuiller en bois. C’était une pâte d’un beau jaune doré, assez liquide.
    — Tenez donc, vous cuisinez en plus. Qu’y a-t-il là-dedans ? demanda Isabeau, vivement intéressée.
    — Levain, farine, lait, œufs et sucre de Chypre réduit en poudre.
    — Où donc avez-vous pris tout cela ?
    — Je l’ai volé. Sauf le levain.
    — Vraiment ? Et à qui l’avez-vous volé ?
    — À vous.
    Isabeau éclata de rire.
    — Vous n’avez vraiment aucun scrupule. Mais j’admets que je commence à apprécier votre sens de l’humour. Quel est votre prénom ?
    Tout en continuant à agiter la mixture légère qui avait été mise en repos, il jeta à Isabeau un regard de côté.
    — Louis.
    — Ah, Louis. Pour être franche, je préfère cela à Baillehache. Puis-je vous appeler Louis ? En retour, je vous accorde la permission de m’appeler Isabeau. C’est là une grande faveur.
    Au lieu de répondre, il alla s’accroupir devant l’âtre. Personne ne l’appelait plus par son prénom depuis si longtemps. Cela lui fit un drôle d’effet. La dame se leva et le suivit afin de le regarder faire avec son plat. Elle s’accroupit prudemment à son tour pour éviter de trébucher dans ses jupes. Il versa un peu du mélange sur la pierre chaude et le laissa s’étendre langoureusement en grésillant.
    — Hum, comme cela sent bon. Vous savez donc tout faire ?
    — Mes parents étaient boulangers.
    Elle tourna la tête vers lui. Il était concentré sur le matefaim* qu’il retournait déjà à l’aide d’une spatule, exposant son ventre d’un brun doré et constellé de petites bulles d’air. Ce paria qui avait fait d’elle une veuve avait un jour été un garçon ordinaire. C’était difficile à imaginer. Mais, en même temps, cela produisait un effet rassurant sur Isabeau. Un Beelzeboul* fils de boulanger était beaucoup moins effrayant.
    — Passez-moi le tranchoir. Là, sur la table.
    Isabeau dut se relever pour prendre la planche de bois usé qu’elle posa près de lui. Il y déposa le premier matefaim* cuit et en versa un second sur la pierre.
    — Goûtez-y, si ça vous dit, fit-il.
    — Merci bien, mais je préfère vous attendre.
    — Alors, mettez-le au chaud. Là.
    Il déplaça le tranchoir plus près de l’âtre et continua d’empiler des matefaims* en silence. La chambre embaumait.
    — Vous ne parlez guère, n’est-ce pas ? fit remarquer Isabeau qui avait dû finir par se relever à cause des courbatures.
    Louis ne répondit pas. Contrite, elle dit :
    — Je suis désolée. C’est le genre de commentaire ridicule dont on doit sans cesse vous rebattre les oreilles.
    — Ça va.
    — Seulement, vous conviendrez qu’il est difficile de trouver un sujet de conversation avec un homme tel que vous.
    — La plupart des gens ne se donnent pas cette peine. C’est prêt. Mais vous

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