Le mariage de la licorne
vos ordres, monseigneur, dit le jeune noble, ravi.
Les hommes eurent du mal à transporter le géant convulsé jusqu’aux écuries où ils trouvèrent une auge remplie d’eau propre à laquelle ils ajoutèrent quelques pelletées de neige avant d’y immerger Louis. Tandis que le prêtre tournait autour de lui en récitant des incantations, Philippe d’Asnières gifla violemment le malade plusieurs fois. Il parut y prendre beaucoup de plaisir. Louis finit par ouvrir les yeux complètement, sans toutefois cesser de respirer bruyamment. Il ne semblait pas lucide.
Les deux mains de l’écuyer se refermèrent autour du cou du bourreau inconscient et serrèrent. Nul ne trouva à y redire. Louis, le visage contracté, émit à nouveau de petits grognements étouffés et se mit à se débattre. Ses mains trempées sortirent de l’eau pour tenter de desserrer l’étau. D’Asnières, dégoûté par le contact des mains de sa victime autour de ses poignets, fut pris d’une rage destructrice.
— Crève. Mais crève donc, dit-il, en donnant de violentes secousses.
— Ça suffit, d’Asnières, dit l’évêque. Arrêtez !
Le jeune homme lâcha prise. Avant de reculer, il gifla le malade une autre fois. L’évêque s’interposa.
— J’ai dit : ça suffit. Gardes !
On éloigna l’écuyer pour permettre au prêtre d’asperger Louis avec son goupillon.
« C’est allé trop loin », se dit l’homme d’Église.
— Vous savez ce qu’il vous reste à faire, sire, murmura l’évêque.
— Oui, oui, je le sais, et je sais aussi que vous me faites violence ! Charles avait peine à maîtriser sa fureur, car il flairait trop tard les effluves de ces manigances vicieuses qu’on avait ourdies derrière son dos.
— Vous pouvez disposer, monseigneur. J’attends quelqu’un d’autre.
Il ordonna aux gardes :
— Ramenez-le dans ses quartiers. Pas en geôle. Qu’il dorme un peu.
Louis n’eut aucune réaction lorsque les deux gardes le transportèrent jusqu’à son lit sur lequel ils retendirent. On fit venir à son chevet le médecin personnel d’Isabeau, dont la manche était ornée d’une rouelle* cousue. Charles avait exigé de lui un rapport complet. Ce rapport ne mit pas longtemps à être fourni :
— Vos renseignements son exacts, sire. Il y a effectivement les signes physiques d’un viol sur la personne de la dame d’Harcourt.
C’était à n’y rien comprendre, d’autant moins qu’Isabeau, qui fleuretait ouvertement avec Louis, avait été systématiquement éconduite par ce dernier. Que Louis l’eût prise de force ne tenait pas debout. Le médecin continua :
— Cependant, je doute que l’exécuteur de Caen soit en cause. Il a été jadis sévèrement torturé au niveau des parties génitales et ailleurs. Son état présent ne lui permet pas de commettre un viol (24) .
— Voulez-vous dire qu’il est impuissant ?
— Oui, sire.
— Oh, misère. A-t-il repris conscience ?
— Oui, sire, peu après mon examen. Mais il demeure confus. Il s’agit d’un épisode d’amnésie comme il en survient quelquefois après une crise de haut mal qui, je le soupçonne, est l’une des séquelles des mauvais traitements qu’il a subis.
— Ce n’est donc pas un cas de possession ?
— Je ne peux, hélas, pas me prononcer à ce sujet, sire. Tout ce dont j’ai la certitude, c’est qu’il a été atteint d’une crise comparable lorsque j’ai soigné sa blessure à l’épaule. La vue du fer à cautériser l’a plongé dans un état d’anxiété qu’il s’efforçait de réprimer devant moi. Sa crise s’est déclenchée juste après l’application du fer.
— On raconte que c’est un avertin*. Qu’en dites-vous ?
— Je ne le crois pas. Le comportement de cet homme est normal. À tout le moins aussi normal qu’il peut l’être dans les circonstances.
— Très bien.
La barbe du vieillard frissonna et il dit, d’une voix émue :
— Telle est la volonté de Yahvé, sire. Morah*. Le roi ne comprit pas.
— Gardez tout cela pour vous, d’accord ? Ne dites rien à personne de ce que vous avez vu. Si par malheur j’apprenais que vous avez parlé… Par tous les saints, le pauvre bougre. Ayons au moins le respect de garder tous ces malheurs pour nous.
— Je me tairai, sire.
*
— Permettez-moi de rappeler à votre mémoire la sinistre réputation de cet individu, dit un peu plus tard à Charles l’évêque que le roi avait cru prudent
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