Le mariage de la licorne
grognement se fit entendre.
— Je ris.
— Tu ris ? Mais ce n’est pas un rire, ça ! répliqua Isabeau dont l’hilarité se fit beaucoup plus bruyante.
Deux heures s’étaient écoulées depuis le début du repas, et Louis sirotait tranquillement sa quatrième coupe de jus à l’eau-de-vie. Le feu aux joues, l’hôtesse triomphait.
— Que veux-tu… je ne sais pas rire, alors je ris mal, dit l’homme dont le corps mou fut secoué par un autre rire, presque silencieux celui-là.
Une ébauche de sourire et le visage détendu, différent, de Louis la troublèrent davantage qu’elle ne voulut l’admettre. Elle cédait pourtant volontiers au désir que provoquait en elle la vue de cet homme assis tout de travers sur une chaise droite à haut dossier. Mais elle ne se rapprocha pas. Pas encore.
— Tu… tu lui ressembles beaucoup, dit Louis.
— À qui ?
— À elle. Églantine.
— Qui est-ce, Églantine ?
— Elle aussi savait comment s’y prendre pour me faire ingurgiter des trucs. Ah oui.
Il voulut appuyer la tête contre le dossier et se la cogna. Son regard se porta vaguement sur Isabeau qui soudain commença à être intriguée par son état. L’effet était très rapide. Il la distinguait mal à cause des trop nombreuses chandelles qui l’éclairaient par-derrière et produisaient une sorte de halo qui n’y était pas auparavant. Ses yeux se fermèrent un instant.
— Louis, qui est Églantine ? demanda Isabeau d’une voix douce.
— C’était ma femme, Églantine, répondit Louis. Il s’enrouait.
— Mais elle n’était plus comme ça, elle, poursuivit-il. Elle est morte. C’est comme ça. Je l’aimais, tu comprends, et il ne fallait pas. Parce que je suis maudit. Maintenant c’est Desdémone qui m’aime. L’hypocrite. Se battre contre vous autres, c’est perdu d’avance. Elle… elle est comme toi.
Il se redressa, avala d’un trait ce qui restait dans sa coupe et la reposa brutalement sur la table. Isabeau but une gorgée et vint s’asseoir par terre, juste à ses pieds. Sa longue robe coula en plis soyeux sur le plancher dallé.
— Si elle est comme moi, cela veut dire qu’elle t’aime aussi, dit Isabeau en lui posant la main sur un genou.
— Oooh, non… s-sûrement pas. Moi, je ne l’aime pas. Et toi non plus, je ne t’aime pas. Je n’aime personne.
Il regardait la main délicate dont le majeur était orné d’un jonc gravé.
— Voyons, Louis, tu ne peux pas ne pas m’aimer. Je suis Églantine.
Les doigts fins d’Isabeau cherchèrent l’une des mains du bourreau. L’ayant trouvée, ils l’emprisonnèrent entre deux paumes tièdes. Louis ne résista pas. L’éclat méchant de ses yeux se voila.
— Ton jus de fruits… hypocrite, dit-il en souriant.
— J’ai bu la même chose que toi, mon beau Louis. C’était un philtre d’amour. Retournons au jardin d’Éden tous les deux. Avant la pomme.
— Le jardin…
Elle lui caressa la joue.
— Il n’existe pas, le paradis. L’arbre non plus. Il n’y a ni bien ni mal. Il n’y a que ce qui est, dit Louis avec lenteur.
— C’est vrai.
Elle se leva et il la perdit brièvement de vue.
— Hé ! appela-t-il, fixant une tache sur le plancher.
— Attends, Louis. Je suis juste là.
Il l’entendit remuer de la vaisselle, puis sa main baguée le toucha doucement à l’épaule.
— Ne bouge pas. Laisse-toi faire, ordonna une voix délicieuse tout près de son oreille.
Les yeux clos, Louis abandonna sa tête à des effleurements doux et sensuels. Il sentit une mèche de ses cheveux s’agripper à la bague d’Isabeau. Ardente Isabeau, qui le força à appuyer la tête contre son ventre. Il ouvrit les yeux et la vit, penchée au-dessus de lui. Le visage d’Isabeau avait disparu. Une enfant qui n’existait plus depuis longtemps l’avait remplacée. Elle était toute menue et ses cheveux avaient la couleur du blé. De longs cheveux d’or fondu qui lui chatouillèrent le front. Elle sourit. Il vacilla.
— Mon beau Louis, lui souffla l’enfant qui avait une voix de femme.
Elle approcha un tout petit flacon des lèvres de l’homme. Un liquide brûlant lui envahit la bouche. Quelques gouttes transparentes lui coulèrent à la commissure des lèvres.
— Tu m’as eu, dit-il en se remettant à rire.
Isabeau tendit le bras pour remettre le flacon vide à la servante qui attendait, invisible depuis le coin où elle se tenait.
— La vengeance des hommes est
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