Le mariage de la licorne

parliez, dame.
    Les mains rugueuses s’assurèrent une meilleure prise en contraignant Isabeau à se pencher en avant et à poser le coude en travers de sa cuisse à lui. Ce geste n’était qu’une menace. Mais au lieu d’y répliquer avec une bordée d’injures, Isabeau dit doucement, d’une voix tremblante :
    — Non… Louis, je t’en conjure, écoute. Je… j’ignorais que tu étais atteint de cette maladie.
    — Il ne s’agit pas de ça.
    — J’avais appris de source sûre que tu avais une préférence pour les pucelles. On m’a suggéré de… de mettre en moi des intestins de pigeons pour recréer l’illusion de ma virginité.
    Elle éclata en sanglots, tellement cette démarche écœurante lui paraissait à présent saugrenue. Elle n’avait pu lui être conseillée que par une personne dont le désir était de se moquer d’elle. Elle poursuivit, à travers ses pleurs :
    — Vas-y, casse-moi le bras si tu veux. Mais cela ne changera rien au fait que je désirais seulement te donner un instant de bonheur.
    — En m’empoisonnant avec votre thériaque* ?
    — Ce n’était pas du poison. Tu n’aurais dû en éprouver qu’un fort sentiment d’euphorie. Mon seul tort est d’avoir cru ce qu’on m’a dit. Je voulais tant que tu me fasses l’amour ! C’est elle qui m’a procuré la drogue. C’est elle qui m’a frappée et attachée. Je m’en suis souvenue dès que les effets de l’eau-de-vie ont commencé à se dissiper. Je me souviens que tu étais à terre.
    — Qui, elle ?
    — À mon réveil, j’avais les yeux bandés. Elle a fait entrer quelqu’un. Un homme. C’est lui et non pas toi qui m’a violée. Je suis innocente, Louis. Elle m’a menti. Cette malebouche* s’est jouée de nous, je t’en fais serment. Pardonne-moi.
    — De qui parlez-vous ?
    Mais il savait déjà, au tréfonds de son être. Le nom affleura à ses lèvres en même temps qu’il s’esquissa sur celles d’Isabeau :
    — Desdémone.
    Louis se mouilla les lèvres du bout de la langue et lâcha le bras de la dame. Ses doigts laissèrent des traces rouges sur la peau d’albâtre. Isabeau pleurait tout bas. Elle pouvait encore entendre la voix vulgaire de la servante lui dire :
    — Quelqu’un a dû lui nouer l’aiguillette*, mais moi je saurai bien vous le faire archonner* comme étalon au printemps.
    Isabeau leva les yeux vers lui et dit :
    — Mon erreur a été de mésestimer la puissance de son amour à elle.
    — Quel ramassis de niaiseries, dit Louis en se penchant légèrement et en prononçant avec soin chaque syllabe.
    La dame s’essuya les yeux avec le dos de ses mains en un geste de petite fille et renifla.
    — Oh, je sais bien que c’est ce que tu en penses. Que peux-tu connaître de l’amour, toi qui n’as jamais pu que te battre ? Qui peut t’en vouloir d’avoir simplement voulu survivre ? Mais, ce que je ne comprends pas, c’est… c’est…
    — Ne cherchez pas. Il n’y a rien à comprendre. Quant à la servante, son sort est réglé.
    — Tu vas la tuer ?
    — Mieux que ça. Je vais faire en sorte qu’elle regrette chaque instant qui lui reste à vivre. Chaque jour elle appellera la mort et la mort ne viendra pas.
    — Non, Louis, dit Isabeau, fervente. Pas la mort. Elle t’appellera, toi. Tout comme moi je t’appellerai.
    — C’est du pareil au même.
    Elle étouffa un sanglot. Soudainement, elle se sentait inexplicablement solidaire de Desdémone malgré le complot qu’elle avait ourdi à leurs dépens. Elle demanda tristement :
    — Ne nous as-tu donc pas aimées un tant soit peu ?
    — L’amour, il y a longtemps que j’ai cessé d’y croire.
    Le ton était dur, sans appel.
    — Comment cela est-il possible ? Que… qu’il…
    — Ça suffit. Je m’en vais.
    — Non, Louis, attends.
    Isabeau se mit en travers de son chemin. Du poing, il frappa la table avec impatience.
    — Quoi, encore ?
    Elle lui fit bravement face.
    — Partout, les gens disent de toi que tu es un être sans merci ni conscience. Mais j’ai la certitude qu’il ne peut exister nulle part des gens totalement, absolument voués au mal. Il n’y a personne d’assez convaincant pour m’y faire croire.
    Louis s’avança. Le cou d’Isabeau se para soudain du plus vil collier qu’elle eût jamais porté : deux poignes rugueuses se refermèrent doucement autour. Il demanda, tout aussi doucement :
    — Voulez-vous parier ?
    Elle haleta alors qu’elle se