Le mariage de la licorne
de l’aile et demanda :
— C’est bien lui, n’est-ce pas ?
— Oui. Je l’ai reconnu dès l’instant où je l’ai vu, même s’il a beaucoup changé, fit Thierry.
— Dieu. Mais comment est-ce possible ? soupira Margot. Bon, voyons voir : le mieux, dans les circonstances, c’est de ne faire semblant de rien. Car il nous faut nous souvenir que le roi est derrière tout ça. Donc, dans l’intérêt de Jehanne, oublions tout : nous ne savons pas qui il est ni d’où il vient ; ne cherchons pas non plus à savoir par quelle ruse il a bien pu obtenir ce titre. Laissons les choses aller et voyons au fur et à mesure ce qu’il convient de faire. Vous êtes d’accord ?
Les deux hommes opinèrent gravement.
— Eh bien, voilà. Oyez comme Jehanne est en train de causer gentiment avec lui. La chère enfant ne voit rien de tout ça, elle. Bénie soit la candeur de son âge !
— Pourquoi êtes-vous en colère ? demandait la petite voix de Jehanne à brûle-pourpoint.
— Je ne suis pas en colère, dit Louis qui appréhendait tout à coup d’être à nouveau isolé avec elle.
— On dirait que vous l’êtes. Est-ce que c’est à cause de Sam ?
— Sam ?
— Je suis la princesse et lui, le chevalier. Même s’il n’arrive pas à tenir sur l’âne. L’autre jour, il est tombé dans le ruisseau. Nous avons une tour juste à nous. Venez, je vais vous montrer.
Elle contraignit Louis à abandonner un demi-gobelet de clairet et lui fourra son lourd floternel* en tiretaine noire dans les bras. Avant que Margot eût pu intervenir, elle avait passé sa mante et sa capeline et entraînait par la main un Louis éberlué jusqu’à la porte d’entrée, où elle décrocha une lanterne.
— Nous n’avons plus faim, lui cria-t-elle en tenant bien serré la grande main qui cherchait sans cesse à se dérober.
L’homme se laissa docilement emmener. Il n’avait eu que le temps de jeter son floternel* sur ses épaules et devait le retenir de sa main libre. Le vent arracha la capeline de Jehanne et, tel un chat enjoué, s’amusa à la faire danser au bout des deux rubans qui la retenaient à son cou, tandis que le couple mal assorti gravissait en courant la pente menant à l’orée de la forêt.
Les dernières lueurs du jour déclinaient rapidement. Une tour qui ressemblait à un cierge poussiéreux fut bientôt en vue entre les arbres. Les couinements maladroits d’une cornemuse taquinaient le vent qui, soudain, se montrait furtif et s’était mis à rôder parmi les ronces. L’instrument se tut dès que les gonds rouillés signalèrent l’ouverture de la porte.
Louis leva les yeux : un gamin dépenaillé le dévisageait du haut de ce qui avait dû être autrefois un chemin de ronde. L’enfant était roux et bien fait. Son nez court était retroussé sous d’abondantes taches de rousseur et lui donnait un air de farfadet. Ses yeux d’émeraude, semblables à ceux de son grand-père, adressèrent des reproches à Jehanne.
— Le Rayé n’a plus peur du bâton, dit-il en ramassant un gros chat qui pendit avec résignation entre ses bras grêles.
Louis arriva enfin à dégager sa main de la tendre emprise de Jehanne. Tout en enfilant correctement son floternel*, il avança avec lenteur dans l’aire envahie de foin pourrissant. En regardant en l’air, il put apercevoir un grand cercle de ciel barbouillé de suie. Un bruit de chute assourdie lui fit baisser les yeux de nouveau sur la vieille meule de fourrage. Sam venait d’y sauter. Sa cornemuse était demeurée sur le chemin de ronde. Elle ressemblait à une petite bête assoupie.
— Cette tour est à nous, dit-il à Louis. À Jehanne et à moi.
Le garçon d’étable lui fit face, les mains sur les hanches. Déjà, son défi s’enjolivait de la beauté d’une fable : cet ogre terrifiant, armé de la plus grande épée qu’il eût jamais vue, allait se voir vaincu par nul autre que lui-même grâce à sa seule vaillance, trempée par son amour pour sa belle. L’idée qu’avait eue Jehanne de l’amener n’était peut-être pas si mauvaise, après tout.
— C’est Sam, dit Jehanne à Louis.
— Somhairle Aitken, précisa le gamin en gonflant orgueilleusement la poitrine.
Louis détailla les traits du garçon avec une minutie silencieuse, désagréable. Neuf ou dix ans, sans doute. Aussi beau et altier que lui-même avait dû être vilain pour avoir été obligé de vieillir trop vite. Louis aima le visage
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