Le mariage de la licorne
de bœuf et de porc que les habitants du manoir n’avaient plus eu la chance de goûter depuis belle lurette. En outre, il avait commencé à faire pousser des herbes en pot.
Blandine et Margot s’étaient retrouvées, étonnées, à échanger avec lui des secrets culinaires, et leur estime pour lui s’en était améliorée d’autant.
— Je n’aime pas ses yeux, mais les choses se présentent mieux que je ne le croyais, avait dit Blandine à la gouvernante.
Même si les fruits lui manquaient davantage que tout autre délice qu’il avait goûté à la table royale, Louis se trouvait fort satisfait du peu qu’il avait été en mesure de récolter. Le rude labeur physique qu’il exigeait de lui-même et de sa maisonnée requérait un important apport en nourritures qui augmentaient la chaleur, et permettait la digestion d’aliments dits grossiers, comme les céréales et les légumes, de même que les raves, des nourritures très terrestres, froides et sèches. C’était dans l’ordre des choses. Il était normal que le paysan, base de la société, se nourrît de la terre, base des éléments.
Pourtant, entre le moulin et la forêt, à l’opposé du chemin que l’on prenait pour se rendre au hameau, Louis avait découvert un autre trésor qui était jalousement enlacé par des arbrisseaux audacieux ayant quitté le couvert de la forêt : dans une clairière à peine ébauchée et envahie de ronciers, un ancien verger subsistait. Louis y vagabonda longuement et put également se rendre compte qu’y avaient déjà poussé toutes sortes de baies, fraises, framboises, mûres et groseilles, et que les buissons avaient une chance d’en produire encore, pourvu qu’on empêche le taillis de les étouffer.
Le bourreau se laissa glisser au pied d’un tronc noueux et leva les yeux vers le ciel pommelé. Il n’en revenait pas de sa chance. Le roi Charles n’avait aucune idée de la valeur du cadeau qu’il lui avait fait. Pas un instant il ne lui vint à l’esprit que tout autre homme que lui eût trouvé trop harassante la tâche de ramener ces terres abandonnées à leur prospérité d’antan. Que c’était là le travail d’un paysan, et non pas celui d’un fonctionnaire de justice.
Louis pensa à sa mère. Adélie eût aimé cet endroit. Il tenta de rappeler à lui le souvenir de son visage tant aimé, afin de s’imaginer à quoi il eût ressemblé maintenant, auréolé de cheveux argentés. Mais l’image ne vint pas. Il tourna la tête en direction du moulin dont il pouvait voir deux des pales effilochées. Le joli visage d’Églantine se refusa à sa mémoire, lui aussi. Il n’arrivait plus à revoir son jardin tel qu’il avait été. Il était devenu petit, poussiéreux, étriqué. Tout cela était désormais trop loin. Cela avait fait partie d’une vie révolue où il n’avait plus sa place.
Soudain, aux images floues qu’il avait en vain essayé de reformer se substitua celle, très précise, d’un minois enfantin. Il sursauta et se remit sur pied. La petite Jehanne d’Augignac venait d’arriver et lui souriait en lui offrant une pomme sauvage.
*
Le dimanche matin suivant, Louis s’attarda à l’écurie plus longtemps que d’habitude. Il prit place sur un tabouret et souleva l’un des pieds de la vieille jument.
— C’est bien ce que je pensais. Regarde, dit-il à Sam qui se tenait debout à côté de lui.
Le garçon se pencha pour examiner le sabot de plus près.
— Oui, j’ai vu cela. Mais j’ai beau frotter, ça ne part pas.
— Ce sont des champignons. Ils ne partiront pas tant que tu laisseras aux chevaux ces litières presque toujours humides. Ce n’est pas tout de les nourrir, de les abreuver et de les bouchonner.
— Je nettoie aussi. Et puis, j’ai aidé à récolter des boisseaux de cévade*.
— Évite de trop leur en donner. Ça leur gonfle le ventre. Louis se leva et emporta le tabouret pour vérifier les sabots de Tonnerre.
— Lui aussi commence à souffrir de ta négligence. Un bon garçon d’écurie doit veiller à étendre chaque jour de la paille fraîche dans les stalles. C’est compris ?
— Oui, dit Sam, la mine boudeuse.
— Comment ?
— Oui, maître, corrigea le garçon avec réticence.
— Bien. Va m’attendre dehors.
Le gamin alla rejoindre Jehanne qui arrivait à la porte. Il se tourna vers Louis qui était toujours assis sur son tabouret pour examiner les sabots du destrier. Le gamin lui jeta un regard hostile
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