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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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dès lors j’ai vécu seul. Seul avec…
    Lionel se demanda où il allait pouvoir trouver la force de regarder de nouveau dans les yeux ce personnage qui incarnait tout ce qu’il n’était pas, lui. Il déglutit péniblement et reprit :
    –… avec toutes ces images et ces cris qui n’ont cessé de se rappeler à ma mémoire, comme ces cicatrices anciennes qui certains jours se manifestent en redevenant douloureuses. Vous voyez ce que je veux dire ?
    — Oui.
    — Cela s’est mis à me hanter d’une façon insupportable. Mais le pire de tout…
    Il s’arrêta et leva sur Louis les yeux d’une victime.
    — Nul n’a compris ce que c’était vraiment. Une vengeance. Personne ne s’est interposé pour retenir votre main. Pas même moi.
    — Bon ! Et que voulez-vous que j’y fasse ? Que je pleure ?
    — Ne vous fâchez pas.
    — Je ne suis pas fâché.
    — On dirait que vous l’êtes.
    Louis se leva et prit la cruche de vin qu’il déboucha pour en verser dans les deux bols. Il en remit un à son hôte et prit une gorgée de l’autre avant de se rasseoir. Lionel y trempa ses lèvres gercées.
    — C’est un excellent vin. Merci.
    — Je l’ai ramené de Caen, dit Louis.
    — Il en valait largement la peine. Bien. J’estime que vous êtes en droit de savoir ce qui m’amène à vous parler de quelque chose qui nous déplaît à tous deux. Mais auparavant j’aurais une question à vous poser.
    — Allez-y.
    — Cette vengeance vous a-t-elle au moins un peu soulagé ? demanda Lionel doucement.
    La main du géant serra le bol dont il but machinalement une gorgée. Si Lionel remarqua la lueur malsaine dans le regard de son interlocuteur, il fit semblant de rien, malgré la peur qui lui nouait les entrailles. Louis dit, les mâchoires serrées :
    — Faites bien attention, moine. Ne vous aventurez pas trop loin. Il est de ces choses qu’il vaut mieux taire. Si vous voulez savoir, j’ai idée que Dieu ne veut pas de vous parce que, peut-être, un autre vous attend à Sa place.
    Le religieux porta le bol à ses lèvres de ses mains tremblantes et il but à grandes gorgées comme il ne l’avait jamais fait de sa vie. Lorsque le bol fut vide, il le remit de côté et dit, en ricanant nerveusement :
    — Voilà. Regardez ce que vous me faites faire. Je commets le péché d’ivrognerie. Mais je compte sur l’indulgence du Tout-Puissant, qui saura mettre ma faute sur le compte de la peur. Cela dit, vous avez vu juste.
    — Comment ?
    — Quelqu’un d’autre m’attend, c’est exact. Seulement, je doute que nous ayons songé à la même personne. J’ai passé tout ce temps à chercher celle que j’avais tout bêtement laissée derrière moi. Et c’est aujourd’hui que j’ai trouvé.
    — Qui cherchiez-vous ? demanda Louis d’un air soupçonneux.
    — Jehanne, dit le père Lionel, tout sourire.
    — Quoi ?
    — C’est Jehanne que je cherchais.
    — Vous la connaissez ?
    — Oui. Elle a été confiée à notre abbaye peu de temps après votre départ. C’est à partir d’ici que mon histoire devient un peu plus intéressante pour vous.
    Et il la lui raconta au grand complet, y compris la part qu’y avaient prise Margot et Thierry. Lorsqu’il en eut terminé, la cruche de vin était vide et ce n’était pas Louis qui lui avait fait le plus honneur. L’hôte taciturne, qui avait écouté le récit avec attention, manda Margot et lui réclama une certaine petite couverture tachée d’encre rouge. L’objet soigneusement plié comme une relique fut secoué et examiné avant de s’en aller négligemment rejoindre les deux bols vides sur la table. « Le voilà qui perd contenance. Il était temps », se dit Lionel dont l’angoisse pouvait enfin se permettre de se dissiper. Il se leva à son tour et chancela. Louis dit à la servante :
    — Fais venir l’enfant.
    La gouvernante sortie, il dit au moine :
    — Si vous êtes venu jusqu’ici pour empêcher mes fiançailles avec elle, vous perdez votre temps. Je m’y soumets de par la volonté du roi. Allez donc traiter avec lui.
    — Je n’en ai nul besoin, dit le moine.
    Il s’était mis à cligner des yeux. Dans le foyer, une bûche encore humide sifflait en produisant un peu de fumée âcre. Il se frotta vigoureusement l’œil droit jusqu’à ce qu’il devînt larmoyant et dit doucement :
    — Vous me voyez ravi à la perspective de ce mariage. Permettez-moi de vous offrir tous mes vœux de

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