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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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abbé est que je me fasse aumônier. Permettez-moi de demeurer chez vous et d’être le vôtre. Votre village est isolé et j’ai pu constater que la chapelle est abandonnée.
    Louis pencha la tête pour réfléchir sans remarquer que la petite Jehanne se portait en avant, déjà prête à se jeter dans ses bras. Il dit enfin :
    — C’est bon. Prenez les arrangements nécessaires avec l’abbé. Radieux, Lionel libéra la fillette qui, avant que Louis eût le temps d’esquisser le moindre geste, se mit à sautiller autour de lui en criant de joie. Le moine susurra, l’œil moqueur :
    — Vous avez tous sûrement grand besoin de la parole divine.
    — De silence divin plutôt, en ce qui me concerne, répondit Louis.
    Le corps de Lionel fut secoué par une hilarité inaudible.
    — Jamais je n’aurais songé qu’un jour on me demanderait de me taire !
    Pendant que Jehanne se jetait de nouveau dans les bras du religieux, Louis en profita pour filer. L’enfant tourna la tête et jeta un coup d’œil sur la porte qu’il avait refermée.
    — Saviez-vous qu’il ne sourit jamais, jamais, mon père ?
    Cette question remua des vases qui gisaient au creux d’un étang depuis longtemps en dormance. L’âme de Lionel s’en trouva brouillée. Il ferma les yeux.
    — L’effet que peut produire en soi pareille question d’enfant. C’est bien cela que je suis venu chercher. Mais, Seigneur Dieu, que ça fait mal.
    — Je ne comprends pas, dit Jehanne, en levant vers lui son regard pur, empathique, pailleté de gemmes.
    Elle était le rayon de soleil qui pénétrait dans les profondeurs de l’étang et qui changeait ses vases en poudre d’or. Lionel s’accroupit devant la fillette et lui prit le visage de ses deux mains encore gourdes. Il répondit :
    — Il a oublié comment sourire, ma fille. C’est comme si son âme ne voyait plus la lumière du jour.
    Et le regard de Lionel se porta vers la petite couverture dont les taches écarlates le firent frissonner.
    — Moi, je l’aime bien, dit Jehanne, même s’il ne sait pas sourire. Il est grand et gentil. Parfois, je lui lis des histoires… Père Lionel, pourquoi pleurez-vous ?
    *
    Sur la table rustique, une tablette attendait de recevoir la fin d’une phrase qui comportait déjà une faute d’orthographe. Cette tablette se composait d’une petite planche de bois dont le centre était soigneusement creusé et poncé de façon à recevoir une pellicule de cire sur laquelle on pouvait réécrire indéfiniment à l’aide d’un stylet. Aedan l’avait fabriquée à la demande expresse du moine. La main de la fillette, qui était responsable de la faute d’orthographe, tripotait distraitement le manche dont était muni l’un des côtés de la tablette, ou vagabondait en direction du cordon attaché à l’autre extrémité qui lui permettait de la porter autour du cou.
    Lionel, maintenant rasé et tonsuré de frais, tenait un livre ouvert en se promenant de long en large dans « son étude ». Ainsi appelait-il la chambrette meublée d’une natte qui lui avait été dévolue dans l’aile des serviteurs et qui lui servait davantage de bibliothèque que de chambre à coucher. Il se pencha au-dessus de son élève et continua à lui donner la dictée sans se préoccuper de la faute. L’important était que l’on comprît ce qu’elle écrivait, car il n’existait pas de règles fixes en matière d’orthographe. La calligraphie de Jehanne avait grandement souffert de son manque de pratique des derniers mois.
    Un léger bruit leur fit lever la tête à tous deux en direction des volets que Louis avait fait ouvrir afin d’en profiter pour changer l’air confiné et enfumé de la maison, tandis que la température s’était adoucie à cause de la neige qui avait cessé de tomber peu avant l’aube. Jehanne appuya le menton dans sa main libre et laissa son regard nostalgique errer à l’extérieur, vers la neige des prés encore intacte.
    — Oh, père Lionel, il fait si bon dehors. Puis-je aller jouer avec Sam ?
    — Ma fille, tout le monde travaille en ce moment, même Sam. Le maître l’a envoyé à l’écurie. Reprenons.
    Docile, la fillette se garda d’insister, mais elle ne se gêna pas pour afficher une contrariété muette. Son stylet grinça en écorchant l’un des bords de la tablette. Lionel regarda l’enfant avec un demi-sourire attendri et fut un moment tenté d’accéder à sa requête. Mais il se retint à

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