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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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toujours d’apporter avec lui une voix de garçon. Jehanne se remit debout. Une goutte oubliée sur son menton frémit en scintillant. Peut-être s’était-elle un peu trop éloignée. Elle haussa les épaules et fit demi-tour.
    Remonter la pente s’avérait fatigant. Cela lui prit davantage de temps qu’à l’aller. À l’occasion, elle levait les yeux vers le ciel qui s’assombrissait. Elle se demanda si elle était vraiment allée aussi loin. Les garçons s’étaient sûrement mis à sa recherche, ils n’allaient pas tarder à arriver. Mais la forêt était décidément très grande. Elle ne s’en était jamais pleinement rendu compte auparavant. Elle parcourut les environs immédiats d’un œil alerté. Et s’ils ne la retrouvaient pas ? Il commençait à faire froid et de plus en plus noir. Elle s’arrêta encore pour prêter l’oreille. Toujours aucun signe de vie. Il ne restait plus rien de familier. Aucune voix humaine rassurante. Jehanne était complètement seule et le ruisseau ne chantait plus.
    Après avoir égrené deux ou trois pas, elle s’arrêta de nouveau. La cime noire d’un pin pointait cruellement le firmament d’un bleu irréel. Un peu de vent passa entre les branches et l’objet fantomatique s’anima, menaçant. La fillette laissa échapper un gloussement de terreur. Le vent souffla juste assez longtemps pour couvrir sa fuite. Après quoi, il alla réveiller des arbres plus loin. Les troncs se dressaient dans une pénombre phosphorescente qui en exagérait les détails inhabituels : l’écorce de l’un semblait hérissée d’épines, tandis que celle d’un autre grouillait d’insectes répugnants. Des bruits insolites provenaient de partout à la fois. Elle n’osa plus avancer, comme si le sol sous ses pieds était lui aussi sur le point de se transformer en autre chose que ce qu’il était en réalité, en ogre gigantesque par exemple, qui peut-être s’apprêtait à ouvrir, juste sous ses pieds, sa gueule béante.
    Soudain, une sorte de crépitement sur sa gauche la fit sursauter : tapie dans l’ombre, une créature tachetée gratta le sol. Elle se dandina vers l’enfant et se figea lorsqu’elle l’aperçut. Son couinement s’amalgama au cri de Jehanne et elles détalèrent toutes les deux en même temps dans des directions opposées. Heureusement, aucun monstre n’eut le temps de l’engloutir.
    La brise se renforça et se chargea d’une odeur tenace, mais Jehanne n’en ralentit pas sa course pour autant. Elle s’enfonça au hasard, plus avant dans la forêt, sans se rendre compte qu’elle laissait loin derrière elle les tout derniers vestiges d’un sentier. Ses jupes se prenaient dans des ronces qui se changeaient en affreuses pattes griffues et grognaient comme de vieilles sorcières lorsque l’enfant se débattait pour s’en dégager.
    Jehanne dut pourtant finir par interrompre cette course éperdue, car un point au côté lui coupait le souffle. Elle avisa un rocher sur lequel elle grimpa pour s’y pelotonner, hors de portée de toutes ces créatures maléfiques qui affleuraient hypocritement à la surface de la terre.
    Les oreilles pleines du bruit de son propre souffle et des battements accélérés de son cœur, elle n’entendit pas tout de suite la plainte. Mais bientôt il ne lui fut plus possible de l’ignorer. Elle tourna prudemment la tête et se risqua à regarder. Un tronc creux encore debout haletait douloureusement tout près d’elle. Pétrifié, d’un gris blanchâtre contrastant avec la noirceur d’encre de la nuit, il évoquait par ses rares branches une main squelettique s’agrippant avec désespoir au voile nocturne. Terrorisée, Jehanne fut incapable d’émettre un son jusqu’à ce qu’une nuée de volatiles noirs s’ébattît en haut des cimes pour protester bruyamment contre quelque intrus grimpeur.
    La voix stridente de Jehanne, qui s’enroua très vite, rebondit contre les arbres en échos lugubres. La fillette s’entoura de ses propres cris comme d’un rempart. Comme si chacun d’eux, en quittant sa bouche, allait prendre vie et se transformer en sentinelle protectrice.
    La voix humaine a pourtant ses limites et Jehanne dut finir par se taire. La gorge enflammée par l’effort et par le goût âcre de sa panique, elle se remit debout et recommença à errer en sanglotant pitoyablement. Elle grelottait de froid, de peur et d’épuisement. Il n’y avait plus rien à faire. Elle allait mourir de faim et de

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