Le mariage de la licorne
cierges, le Seigneur sourit.
L’indispensable salière avait été creusée dans une miche tendre que Blandine avait en secret ramenée de Caen le matin même. C’était un pain de froment, le meilleur qu’elle avait pu trouver, et il était destiné à devenir l’un des petits cadeaux offerts au futur couple.
Les fiançailles ne furent pas scellées à l’église, mais à la table du réveillon, par un échange de vin fait sous une couronne de houx et de gui qui était accrochée au mur derrière eux (44) . Louis se leva et but une gorgéeau hanap qu’il tendit à Jehanne. La fillette fut soulagée de découvrir que le vin n’avait pas si mauvais goût, après tout.
Le repas fut simple, mais plantureux. Le père Lionel l’émailla de fragments du Puer Natus*, qu’il chantait avec un enthousiasme grandissant. Les effets émollients du vin auquel il fit honneur abaissèrent si bien les inhibitions de Louis qu’il se retrouva bientôt les yeux bandés, à buter contre les gros meubles alors qu’il jouait à l’équivalent du colin-maillard.
— Hubert ? demanda-t-il en palpant quelque chose devant lui qui se déroba presque tout de suite.
— Non, ce serait plutôt un chat sur une tablette, avec une couverture par-dessus. Je croyais pourtant les avoir tous mis dehors, ceux-là.
Margot s’empressa d’éconduire la bête sous une tempête d’éclats de rire. Louis finit par coincer la tête de Sam entre son flanc et son bras et se chamailla gentiment avec lui, ce qui eut pour effet d’améliorer quelque peu l’humeur sombre du garçon.
Les fiançailles n’avaient rien changé et il ne fallait pas se presser. C’était ce que semblaient vouloir assurer les étrennes de Louis aux deux enfants : chacun une calette* neuve, des figurines de chevaliers pour lui, une poupée de chiffon à tête d’argile pour elle. Il avait même fait fabriquer par Aedan une dînette complète aux mesures de cette poupée qui avait été joliment vêtue par Margot, comme une vraie personne. Et, pour le plaisir de toute la famille, Louis avait rapporté de la ville un véritable théâtre de marionnettes peint de couleurs vives. Cette distribution d’étrennes, qui eût dû se faire au Nouvel An tel que l’exigeait la coutume, avait été devancée à l’occasion des fiançailles.
Non, rien n’avait changé en apparence. Margot allait continuer de soigneusement cacher aux yeux de tous les vêtements noirs, souvent maculés de traînées sombres, que Louis lui ramenait discrètement après une visite en ville. Lui-même allait continuer à dissimuler soigneusement tout instrument du supplice qui devait, pour une raison ou une autre, séjourner au domaine. L’erreur du chevalet* fut aisément réparée avec le dévoilement d’un vrai chevalet pour la peinture, et l’engin muni d’un encliquetage à rochet disparut. Personne ne posa plus de questions à son sujet. Et si quelqu’un s’était hasardé à en poser, Louis, qui avait entreposé le tout à Caen, tenait sa réponse toute prête : « C’est pour le moulin », aurait-il dit.
Mais, en dépit des apparences, l’ogre était loin d’être apprivoisé. Lionel le savait. Il n’était qu’assoupi, de cet étrange sommeil vigilant des prédateurs ; ses yeux s’ouvraient, scintillants, au moindre son ; ses oreilles et sa truffe frémissaient ; Louis était aux aguets et se tenait sans cesse prêt à l’attaque au plus petit signe de ce qu’il pouvait considérer comme une agression. Lionel savait aussi que c’était à partir de maintenant qu’il devenait réellement dangereux.
Le moine en eut la certitude dès l’instant de la bénédiction finale des fiançailles, à la fin de leurs festivités nocturnes. La maisonnée au complet s’agenouilla autour de lui et il prononça une prière que chacun écouta avec la ferveur dont pouvait être capable tout bon chrétien après une nuit sans sommeil passée à faire ripaille.
La prière terminée, Louis fut le premier à vouloir se remettre debout. Mais la main de Lionel se plaqua sur son épaule. Le colosse fut maintenu dans sa position pendant quelques instants de plus que les autres, que le moine laissa se relever un à un avec hésitation. Lionel abaissait sur lui un regard de patriarche. Soudain, le jeune homme se déroba et affronta le religieux de toute son inquiétante stature.
— Qu’est-ce qui vous prend ?
Lionel recula.
— Une dernière chose avant de vous souhaiter la
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