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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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rancunière et capable de perpétuer, des années durant, des cabales dont personne ne sait plus l’origine.
    Les rangs avancés du parterre où, selon l’usage, ne se tenaient debout que des spectateurs du sexe masculin, continuaient de se répandre en tousseries.
    – Dehors les tubards ! hurla un vieux soldat à monocle d’or en se penchant depuis l’étage des stalles.
    – Ouh ! vieille ganache ! lui répondit l’un de ceux qu’il fustigeait en s’étranglant dans une quinte.
    Le premier violon, affublé d’une in-folio venue à l’état de taillis, s’était levé pour répondre aux invectives d’un jeune homme qu’il n’avait pas reconnu pour un habitué de la claque et qui, depuis le début du tumulte, n’avait cessé de se tenir penché au-dessus des musiciens.
    – Tu es sans doute fier, Campra, d’abandonner ta cathédrale pour ce lieu de débauche ! clamait cet enragé en couvrant de sa voix de saint Jean-Baptiste le gros bouillonnement des cordes qui cherchaient un accord.
    – Vas-tu te taire ? faux dévot, lui répliquait le violon secouant sa crinière et levant son archet avec un air de férocité.
    – Sortez-le ! piaillèrent quelques chevaliers du lustre 163 poudrés à frimas mais étranglés dans des habits misérables.
    – Ouh ! ouh ! pour l’impie Campra, s’opiniâtrait le chœur des alliés du jeune perturbateur depuis le haut du théâtre.
    Ce dernier, cessant brusquement de s’en prendre aux musiciens, se retourna pour lancer vers la salle un flux de paroles fulminatoires. Bien qu’il ne fût alors éclairé que de dos, par le retour des lumières de la rampe, Victor le reconnut à son regard de braise pour Brandelis de Grandville.
    – Riez ! dansez ! peuple de Sodome ! s’époumonait le jeune abbé, la chute est plus proche que vous ne le supposez.
    – Qui cause ce tumulte ? s’enquit Jean-Hercule, loin de songer au prédicateur de Saint-André-des-Arcs.
    – Sans doute un janséniste à qui l’opéra donne de la gratte ! lui répondit Diane impatientée.
    Victor, plaqué sur son banc, se souvint à ce moment des paroles du père Grésil. Il observa, avec un sentiment mêlé d’admiration pour la hardiesse et d’effroi pour le fanatisme, l’incendiaire qui s’acharnait à ébranler la volonté de la foule à la cognée de l’anathème.
    Sur un signe du chef machiniste, les lustres qui, une fois les chandelles éteintes, avaient été montés, furent redescendus en trombe. La confusion était telle qu’on oublia de crier « Gare ! » et les spectateurs n’eurent conscience de la masse qui s’était mise à osciller sur leurs têtes qu’en entendant mugir les poulies.
    Il y eut une nouvelle affreuse bousculade en direction de la scène qui, loin de réduire Brandelis de Grandville au silence, le fit au contraire se hisser sur l’épaule de quatre de ses partisans pour redoubler ses cris.
    – Vous vous roulez dans la fange et le plaisir infâme ! poursuivit-il, repentez-vous pendant qu’il est encore temps, peuple gangrené !
    La foule demeurait muette. Elle observait le prince pour modeler sa réaction sur la sienne ; le poids de tous les regards convergeait vers l’estrade royale. Avoir un père tel que Louis XIV, toujours majestueux, toujours maître de soi, doit à coup sûr persuader que la superbe vient à bout de tout. Pourtant le gros homme qui, ce soir-là, face à Brandelis de Grandville dévoré d’un feu que rien ne pouvait circonscrire, incarnait la majesté de la couronne, était d’une infiniment moins bonne trempe que l’auteur de ses jours. Se voyant l’arbitre du tumulte, il sentait la sueur perler sous sa perruque, sa gorge le racler, son regard de myope s’alourdir et faire trembler des formes dans les lointains.
    Il finit par se tourner, avec une nonchalance factice, vers le marquis de Béringhen qui se tenait en toutes occasions à moins de quatre pas de lui. Le dialogue qui s’ensuivit, radicalement dépourvu de la noblesse qu’on s’attendrait à voir attachée aux propos de l’héritier d’un grand trône, ne mérite de figurer dans ce récit que parce qu’il eut pour effet de faire aussitôt commencer le spectacle.
    – Quel est ce turlupin ? demanda le dauphin en dodinant de la tête.
    – Je l’ignore, monseigneur, répondit Béringhen, je cours m’informer.
    – Il suffit ! trancha le fils du roi, ce drôle nous scie… Qu’on l’expulse et qu’on lui fasse donner du bâton par nos gens !
    Trois claquements de

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