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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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doigt suffirent pour faire exécuter cette hâtive sentence. Celui que fit entendre le marquis de Béringhen depuis le dais royal, que répéta le menin 164 de quartier dévalé près de l’orchestre l’épée au poing, celui enfin d’un capitaine des mousquetaires noirs 165 qui se rua lui-même, suivi de vingt de ses hommes, sur l’abbé de Grandville.
    Un hourra s’éleva sur le perturbateur lorsque, à la lueur des rares chandelles rallumées, le public le vit solidement empoigné.
    – Hors d’ici jésuite !… À bas le janséniste ! entendait-on en confusion.
    Les alliés de Brandelis de Grandville, voyant fondre sur eux des gens en armes, s’égaillèrent ainsi qu’un troupeau d’oies à la vue d’un chien courant. Resté seul, adossé à la fosse, l’initiateur du tumulte se laissa saisir sans résistance. Aussitôt, traîné sur le parquet, couvert de crachats, insulté de coups de canne, il parvint cependant à rassembler assez de forces pour crier :
    – Vous n’empêcherez pas la malédiction de s’accomplir !… Convertissez-vous, race de vipères !
    Sa voix alla mourir dans un couloir tandis que les moucheurs de chandelles ressortaient de leurs trous.
    Le maître Campra, qui pendant toute cette scène était demeuré le dos tourné au public, les bras croisés, la mine grandement rechignée, put enfin attaquer la généreuse ouverture qui donnait le ton au reste de son ouvrage. Marthe Lerochois, dernière coqueluche de Lully – toute musicale s’entend pour qui connaissait les goûts du maître – femme de mine noire, boulotte et contrefaite, s’avança sur le devant de la scène et fut, dès cette seconde, pour Paris, la Clorinde d’un soir.
    Elle fit frémir l’aréopage entier lorsque, lâchant sa canne à rubans et s’élançant sur ses épais cothurnes, elle se jeta dans les bras de Dumenil qui chantait Tancrède. C’est dans cette position, en l’accompagnant de vraies larmes, qu’elle entama l’air le plus pathétique de l’œuvre :
    « Il n’est plus temps de feindre
    C’est assez renfermer un amour malheureux
    Importune fierté, ne gêne plus des feux
    Que tu ne peux éteindre. »
    Les élégantes, aigrettées de diamants, en furent à leur tour ruisselantes de pleurs et l’on vit, à hauteur des secondes galeries, éclore des mouchoirs blancs qui ombrèrent les visages en étalant sur les joues poudrées le fard rouge des pommettes.
    Le public, excité par la claque, ovationna à plusieurs reprises la basse Thévenard, l’idole de l’Académie, qui campait le cruel Argant. Les fameuses machines de Torelli 166 fonctionnèrent sans baisser de rideau, à la vue même des spectateurs et en les faisant chaque fois frissonner d’admiration. On vit les remparts de Jérusalem dévorés par les cintres, puis la scène se hérisser en un clin d’œil de palmiers surgis du plancher aussi drus que les chandelles d’eau d’une fête à Versailles.
    Lorsqu’il eut définitivement reposé sa canne, Campra fut contraint par mademoiselle Lerochois de monter saluer parmi les chanteurs. Accoutumé à l’anonymat de sa tribune dans la cathédrale, il ne s’exécuta qu’après mille embarras et la salle, à sa vue, redoubla de cris et de bravos.
    Un jeune homme dont l’habit sentait la misère et qui, depuis que le rideau était retombé, criait plus fort que tous les autres enjamba la fosse avec l’agilité d’un singe.
    Sautant sur la scène, il se jeta à genoux près du compositeur à qui il baisa les mains.
    – Ah ! monsieur, lui cria-t-il tandis que les admirateurs affluaient de tous côtés, je ne suis qu’un pauvre apprenti musicien mais, laissez-moi vous dire ! vous avez fait un pas vers où je veux aller.
    Campra sourit et tenta de dégager son bras pour bénir ce garçon dont le regard l’éblouissait.
    – Qui êtes-vous ? lui demanda-t-il en l’embrassant.
    – Je suis fils d’un organiste de Dijon, je reviens de Naples et de Rome où j’ai étudié les maîtres d’Italie. Je ne suis à Paris que pour solliciter de l’évêque de Clermont la charge de maître de chapelle dans sa cathédrale.
    – Je vous souhaite de l’obtenir, il y a le feu sacré chez vous, reprit l’auteur de Tancrède , comment vous nommez-vous ?
    – Jean-Philippe Rameau, maître ! s’exclama le jeune homme au comble de l’exaltation avant de lancer par-dessus la foule en délire son petit tricorne gris.
     
    Les jours suivant cette soirée, au cours de laquelle il avait humé

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