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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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lucarnes barbouillées de bleu mais c’était comme la rutilante proue d’une galère émergée de la vase qui aurait tourmenté sa curiosité. Secrètement, il brûlait d’entrer dans ce temple, qu’à voir assailli de tous côtés ainsi qu’une ruche enfumée, il pressentait grouillant de mystères voluptueux. Dès l’aube, le va-et-vient réglé des élèves de l’École de Chant préludait à l’incessant ballet du jour et, longtemps avant midi, se profilaient les premiers amateurs, à peu près tous oisifs et n’ayant rien de marqué à faire là, mais que les concierges toléraient à force de pourboires ou par pure humanité. Il faut savoir ce qu’est à Paris l’espèce des opiomanes de la féerie théâtrale, de quelles ruses ils sont capables pour se procurer leur dose quotidienne de lumières artificielles et pouvoir s’enivrer de cette senteur de roses séchées et de benjoin éventé qui baigne toutes les coulisses des vieilles scènes du monde. Sans tout cela, sans ce merveilleux à gros grain, sans ce fumet refroidi des choses du spectacle qui procure aux fruits secs l’illusion du génie, beaucoup de ces malheureux s’étiolent et ne survivent pas.
    Les Thésut, on n’en sera pas autrement surpris, portaient sur l’Académie un jugement sévère. À les entendre même, la position éminente qu’occupaient leurs appartements par rapport à la salle de Richelieu était un incontestable signe de la providence, soulignant que le travail partout se doit de dominer le plaisir. Victor, après deux ou trois réflexions acerbes de ses maîtres, avait compris qu’il ne fallait pas les pousser sur le sujet et il regardait le jour où il pourrait franchir les portes de cet antre féerique comme aussi lointain que celui de sa réussite avérée.
    Or il advint qu’un des tous premiers soirs de novembre, alors qu’il rentrait plutôt fourbu chez son oncle, il vit le vidame en robe de chambre d’indienne dévaler l’escalier d’honneur et venir à sa rencontre en agitant une sorte de laissez-passer empâté de timbres et de tampons.
    – Nous allons à l’Opéra ! lui annonça-t-il, Diane de Solsac vient de réussir un miracle ; elle a obtenu pour nous le petit banc de sa tante. On donne ce soir la première représentation publique d’une Tancrède du sieur Campra et les places se revendent sous le manteau presque dix fois le prix marqué.
    Il ne fallut pas plus d’une heure aux deux garçons pour se trouver in fiocchi 156 devant le vestibule du théâtre, parmi l’étincelante cohue des carrosses et des chaises festonnées de lanternes qui obstruaient la place du palais. Dans cette presse bruissante, des laquais et des cochers, trois fois plus nombreux que leurs maîtres, brandissaient à bout de bras des flambeaux qui projetaient des nappes de lumière en faisant frémir les contours de muses statufiées.
    – Tout Versailles est ici ! lança au vidame un muguet roulé dans une cape de soie à freluches.
    – Le dauphin est attendu en tête d’un gros bataillon de sa cour de Meudon, ajouta la créature de rêve qui se poussait à son bras.
    – Personne n’aura voulu manquer le retour de Marthe Lerochois, leur répliqua le vidame en prenant ce ton sentencieux qui n’est qu’à Paris pour aligner des bagatelles, on dit qu’elle n’est revenue que par amitié pour Campra sur sa résolution de ne plus monter sur un théâtre.
    – C’est une chance, reprit la jeune beauté, de plus l’œuvre est sublime… J’étais à la couturière mardi où, pour les saluts, on a relevé soixante fois la toile.
    – C’est l’Événement depuis la mort de Baptiste ! conclut l’élégant jeune homme tout en se laissant aspirer, tandis qu’il finissait sa phrase, par un cercle de marjolets 157 tous faits à son image.
    – Qui est Baptiste ? demanda Victor lorsqu’il se retrouva seul en compagnie du vidame.
    – Le divin Lully ! répliqua celui-ci, voilà dix-sept ans qu’il est mort et Paris continue de ne jurer que par lui.
    Après avoir cheminé par d’étroits escaliers et couloirs où l’afflux de public les contraignit à piétiner longtemps, ils purent enfin découvrir la salle, vaste parallélépipède doré ruisselant de l’éclat des lustres, alors relevés et chargés de chandelles neuves. Depuis une galerie de côté où des laquais en livrée canalisaient les spectateurs en s’aidant de leurs cannes, ils purent embrasser d’un seul coup d’œil, rangées sur trois niveaux

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