Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
Vom Netzwerk:
quarante-six et tu nous auras bientôt estourbi de quarante-six poules et demie.
    – Mais, chevalier ! fit observer Victor, il faut compter toutes celles qui ne pondent pas car il n’y a qu’au pays de Cocagne où l’on trouve chaque jour à point un œuf dans chaque nid.
    – Qu’importe ! tempêta Thésut, je flaire la rapinerie. Nous allons dépêcher notre notaire de Blois pour qu’il fourre un peu son nez dans les affaires de ce misérable et, coupable ou innocent, je vous promets que je lui passerai quelque onguent miton-mitaine de ma façon.
    Il fixa sa décision par une annotation, pointant un index en l’air pour conclure :
    – Vous touchez là l’exemple des funestes entraînements où conduit le relâchement de la sévérité !… En d’autres temps, lorsque le sire de Coucy faisait pendre haut et court ceux qui volaient ses fruits, personne avant longtemps n’osait entreprendre de regrimper à ses arbres… Il est vrai qu’à cette époque les rois n’accablaient pas leurs peuples d’impôts, qu’ils ne spoliaient pas la richesse ecclésiastique, qu’en outre celle-ci servait vraiment à secourir les pauvres.
    Victor considéra son vieux maître en souriant.
    – N’idéalisez-vous pas quelque peu ? demanda-t-il ingénument.
    – Peut-être ne vous racontais-je tout cela, soupira le chevalier en répondant avec humour à la question du jeune homme, que pour vous permettre de dire un jour à vos enfants que, dans votre jeunesse, vous avez entendu un vieux fou regretter le temps du roi Louis VI.
    – Le passé, reprit Victor, ne peut servir de seule référence à nos actes.
    – Il faut me passer cette marotte, protesta Thésut, cela m’a toujours rassuré de regarder derrière… D’ailleurs, lorsqu’on vieillit, lorsqu’on se sent comme moi transi en permanence, on ne scrute l’avenir qu’avec énormément d’appréhension.
    Il se pencha pour signer le petit commentaire qu’il venait de griffonner au bas du rôle de l’intendant des Poulins.
    – Votre amoureuse, demanda-t-il en toussotant pour faire passer l’audace du qualificatif, comment est-elle de sa personne ?… Vous ne me l’avez jamais seulement décrite.
    – Radieuse, aimable, tout à mon gré, répondit Victor avec exaltation avant d’ajouter : Elle vous plaira, j’en suis sûr.
    – Bienheureux garçon !… Vous êtes aimé, vous êtes doué d’un naturel excellent, vous êtes paré de moins de vingt printemps… Comment voulez-vous qu’on ne vous envie pas ?
    – C’est vrai, chevalier, repartit notre héros et je serai l’être le plus comblé de la terre lorsque le duc m’aura rendu Clémire.
    – Les tocades de notre maître ne durent jamais bien longtemps, reprit Thésut… Il vous aura vite fait justice.
    – Mais s’il me la rend dans un état tel que je ne puisse plus la regarder comme mienne, se lamenta Victor.
    – Eh quoi ! que serait-elle d’autre dans ce cas qu’une innocente victime ? Ce n’est point de pardon dont elle aurait besoin mais de compassion et d’amour… Vous savez comme moi qu’il est des forfaitures que les femmes subissent sans être coupables. Et puis… et puis, vous ne seriez pas le premier à boire sur le râpé 246 d’un petit-fils de France.
    Il eut un geste preste de la main pareil à une chiquenaude.
    – Ne me trouvez-vous pas bien moderne pour penser comme je fais ? demanda-t-il en roulant des prunelles immodestes.
    – Je suis si jeune, balbutia Victor, je n’ai qu’elle et commencer ainsi serait affreux.
    – Je vous parlais tout à l’heure du temps des sires de Coucy. Il vous étonnera sans doute d’apprendre que l’honneur qui se plaçait alors si haut était…
    Et s’arrêtant soudain, les traits de son visage subitement brouillés :
    – Sabre de bois ! s’exclamat-il en achevant de blêmir, comment m’avez-vous dit que se nommait cette fille ?
    – Clémire, fit Victor épouvanté par le changement de figure de son maître.
    – Juste ciel !… Et quel âge a-t-elle ?
    – Dix-huit ans comme moi.
    – Dix-huit ôté de 1703, c’était bien en 1685. Ah ! Seigneur… Et ce frère dont vous me parliez ne se nommait-il pas quelque chose comme… Florilis ?
    – Brandelis.
    – Misère ! articula Thésut devenu jaune comme safran avant de verser la tête sur l’oreille de son fauteuil.
    – Chevalier ! chevalier !… Revenez à vous ! s’écria Victor en tapotant les mains décharnées du vieil homme.
    Celui-ci, malgré les appels de son

Weitere Kostenlose Bücher