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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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elle assurait que l’air lui donnait des croûtes ; elle prétendait aussi être restée dans sa jeunesse toute une année sans proférer une parole après s’être allée imaginer mourir de la poitrine au premier son qu’elle articulerait. La seconde était une aimable sorcière, furieuse au jeu et férue d’astrologie ; chassée publiquement du Palais-Royal par Monsieur, elle avait été d’un grand réconfort pour Madame qu’elle avait continué à voir en secret dans le parloir de plusieurs couvents parisiens.
    Il fallait de quelques mots présenter le personnage public qui vient de s’approcher de l’abbé de Thésut pour, contre tous les usages, lui saisir la main et lancer d’un fort accent de Tudesque :
    – Cher abbé ! il n’est à peu près que vous que je regrette depuis que personne ne m’oblige à venir à Paris.
    Monsieur Davignon, qui n’avait jamais vu la princesse dans son particulier, fut impressionné par cet abord franc et modeste valant tous les appas du monde.
    – Altesse, protesta l’abbé, c’est vous qui nous abandonnez !… Vous savez bien que nous n’avons ni le loisir ni le goût de paraître à la cour.
    – Le roi, persifla Madame en partant d’un rire gras, vous dirait qu’un homme né qui ne vient pas à Versailles ne vaut pas mieux qu’un déserteur de son armée.
    – Nous ne désertons que pour la gloire de votre fils, répliqua sentencieusement Thésut avant de s’écarter pour présenter celui qui l’accompagnait.
    – Vous connaissez, de réputation, Charles Davignon d’Antraigues, conseiller d’État, qui est venu jusqu’ici vous exposer lui-même une affaire qui le touche… Il vous surprendra par le ton direct dont il va user mais il ne sait pas mâcher ses mots… C’est là son caractère, guère différent du nôtre au fond et c’est ce qui me persuade que Votre Altesse l’entendra comme si je lui parlais moi-même.
    – Oh ! oh ! l’abbé, se récria Madame en forçant un second éclat de rire. Cette visite soudaine, tous ces mystères, me donnent la chair de poule… Installez-vous, messieurs ! Vous risquez d’être longs si, comme je le suppose, vous êtes venus m’entretenir de mon fils.
    – Précisément, Altesse, fit monsieur Davignon, mon vieil ami vient de vous mettre en garde : je n’ai pas eu le temps de préparer un discours raboté. J’irai sans détour, voire brutalement… Le duc d’Orléans retient ici une jeune fille promise à mon neveu qu’il a fait enlever dans une maison de ce village.
    – Cette enfant n’a point été, comme vous le dites, enlevée ! protesta sévèrement Madame.
    Elle se laissa crouler sur une bergère, écartant de son sein moelleux, pour la confier à madame de Beuvron, mademoiselle Millette, l’un de ses nombreux chiots, qu’elle avait apportée avec elle en entrant.
    – Forcée ? hasarda le conseiller.
    – Pas davantage forcée ! s’opiniâtra Madame avec un peu plus de colère dans le ton.
    Puis, se radoucissant :
    – Je vous en supplie, monsieur, demandez-moi tout ce que vous voulez pour votre neveu : un régiment, des terres, tous les offices qui lui feront envie mais, de grâce ! laissez-nous cette fée…
    – Mais, Altesse…
    – Elle a changé mon fils. Elle l’a rendu aimable avec sa mère… Depuis que Clémire a paru dans ces lieux, je n’ai jamais eu tant sujet d’être satisfaite.
    – Ce bonheur est volé à un innocent ! fit observer le conseiller.
    – Que la vie est cruelle !… Je croyais, après bientôt trente ans de peines dans ce pays, tenir enfin la joie de mes vieux jours : un enfant retrouvé, une poupée gracieuse à aimer… Et voilà que, à peine les ai-je entrevues, vous venez me ravir toutes ces espérances.
    Donnant soudain toutes les marques de sortir d’une douloureuse méditation, elle ajouta :
    – Quel âge a votre neveu, monsieur ?
    – Dix-huit ans, repartit l’oncle de Victor.
    – N’est-ce pas assez tôt, avec tout ce que je suis disposée à lui offrir, pour jouir de tous les bonheurs de la terre ?
    – Altesse, protesta le conseiller, ce que vous me demandez ne peut se concevoir. Ce garçon n’est pas d’un caractère à troquer passion contre richesse. C’est un cœur simple auquel beaucoup d’épreuves, dans une époque encore tendre de l’existence, confèrent une sorte de droit à la paix.
    – Ah, que vous tourmentez ma conscience !
    – J’ai eu le grand privilège d’être quelque temps le confesseur de Votre Altesse,

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