Le médecin d'Ispahan
de notre temps.
Mais je vous donnerai un livre, composé il y a trois cents ans par des médecins
qui ont survécu dans différents pays. Tout n'y est pas bon, sans doute, mais
vous pourrez y trouver des renseignements utiles. Comme il est possible que la
peste noire se répande par des effluves putrides dans l'atmosphère, je pense
qu'il sera bon d'allumer de grands feux de bois aromatiques près des malades
comme des bien-portants. Ces derniers se laveront avec du vin et du vinaigre
dont ils aspergeront leurs maisons ; et ils respireront du camphre et
autres substances volatiles.
« Vous
veillerez à ce que les malades en fassent autant. Quand vous les approcherez,
tenez devant votre nez des éponges imprégnées de vinaigre ; faites
bouillir l'eau avant de la boire, pour la clarifier de ses impuretés, et
nettoyez vos mains chaque jour car il est écrit dans le Coran que le diable se
cache sous les ongles. Ceux qui survivront à l'épidémie ne devront pas rentrer
immédiatement à Ispahan, où ils risqueraient de l'apporter. Vous irez dans une
maison, au rocher d'Ibrahim, à un jour de Nain, et trois jours d'ici. Vous y
resterez un mois avant de retourner chez vous. C'est compris ?
– Oui,
maître », dit hakim Fadil ibn Parviz avec émotion, parlant pour tous
puisqu'il était leur chef.
Le jeune Ali
pleurait silencieusement, et le beau visage de Karim Harun s'était assombri.
Enfin, Mirdin Askari éleva la voix.
« Ma
femme et mes enfants... Je dois m'en occuper : si jamais...
– Oui. Ceux
qui ont des responsabilités n'ont plus que quelques heures pour régler leurs
affaires. »
Rob ignorait
que Mirdin fût marié et père de famille ; réservé et toujours sûr de lui à
l'école comme au maristan, il remuait maintenant ses lèvres pâlies en une
prière muette.
« Une
chose encore, dit Ibn Sina avec un regard paternel. Prenez soigneusement des
notes, à l'intention de ceux qui auront à combattre la prochaine épidémie, et
laissez-les à un endroit où ils puissent les retrouver, au cas où il vous
arriverait quelque chose. »
Le lendemain
matin, le soleil rougissait le faîte des arbres quand ils franchirent le pont
du Fleuve de la Vie, chacun sur un bon cheval et menant un âne ou une mule de
bât. Rob suggéra à Fadil d'envoyer un homme en éclaireur et un autre pour
surveiller leurs arrières. Le jeune hakim fît mine de réfléchir, puis donna ses
ordres avec autorité. Le soir, il accepta encore l'idée des gardes alternées
telles qu'on les pratiquait dans la caravane de Kerl Fritta. Assis autour d'un
feu de broussailles, ils furent tantôt facétieux, tantôt lugubres.
« Je
trouve, dit Suleiman, que Galien avait raison de conseiller au médecin de fuir
la peste pour pouvoir continuer à prodiguer ses soins. C'est d'ailleurs ce
qu'il a fait.
– Rhazes, le
grand praticien, le disait en trois mots, répondit Karim : partir vite ,
aller loin , et revenir le plus tard possible. »
Ils rirent, un
peu trop fort sans doute. Suleiman prit la première garde et le matin, en
s'éveillant, on s'aperçut sans grande surprise qu'il était parti avec ses bêtes.
On en fut choqué et un peu déprimé. Le soir, Fadil choisit Mirdin Askari, qui
fut une bonne sentinelle. Mais, la troisième nuit, Omar Nivahend suivit
l'exemple de Suleiman et s'enfuit aussi avec ses montures, Le jeune chef réunit
aussitôt son équipe.
« Ce
n'est pas un péché d'avoir peur de la peste noire, dit-il. Sinon, nous serions
tous damnés. Et ce n'en est pas un non plus de fuir, selon Galien et Rhazes –
bien que je pense, comme Ibn Sina, qu'un médecin doit combattre la peste et non
lui tourner le dos. Mais ce qui est un péché, c'est d'abandonner ses
compagnons sans garde et, pire encore, de voler un animal chargé de tout ce qui
est indispensable aux malades et aux mourants. Donc, continua-t-il avec
fermeté, si quelqu'un veut nous quitter, qu'il parte tout de suite. Et je
promets sur l'honneur qu'il pourra le faire sans honte ni crainte. »
Personne ne
broncha, mais chacun entendait le souffle des autres.
« Oui,
dit Rob, n'importe qui peut partir. Mais s'il nous laisse sans protection ou
s'il emporte ce qui est nécessaire aux patients qui nous attendent, je dis que
c'est un déserteur : il faut le poursuivre et le tuer. »
Il y eut un
nouveau silence, puis Mirdin se décida le premier.
« Je suis
d'accord », dit-il, et tous le répétèrent l'un après l'autre, sachant que
ce n'était pas
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