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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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s'accrochaient à la vie dans les égarements de la chair.
    Juste avant
midi, le kelonter, qui ne mettait jamais les pieds à l'hôpital, envoya un
soldat pâle et tremblant chercher Rob et Mirdin. Ils trouvèrent Hafiz dans la
rue, respirant une pomme cloutée de girofle pour prévenir la maladie.
    « Le
nombre des morts est tombé hier à trente-sept », annonça-t-il
triomphalement.
    L'amélioration
était spectaculaire car, au pire moment de l'épidémie, la troisième semaine, on
avait compté jusqu'à 268 décès. Hafiz estimait, d'après ses calculs, que Chiraz
avait perdu 801 hommes, 502 femmes, 3193 enfants, 566 esclaves mâles et 1417
femelles, 2 chrétiens syriens et 32 Juifs.
    Rob et Mirdin
échangèrent un regard, car l'ordre dans lequel le kelonter avait énuméré les
victimes ne leur avait pas échappé.
     
    Le jeune Ali
arriva, descendant la rue à pied, et il serait passé sans s'arrêter si Rob ne
l'avait appelé par son nom. En s'approchant, il fut frappé de l'étrangeté du
regard et ressentit en lui touchant le front le choc terrible et familier qui
lui saisit le cœur. Seigneur !
    « Ali,
dit-il doucement, il faut rentrer avec moi. »
    Avec Karim et
Mirdin, il avait déjà vu mourir beaucoup de gens, mais l'évidence et le
caractère foudroyant de la maladie qui frappait Ali Rashid étaient tels qu'ils
se sentaient atteints à travers lui. De temps en temps, Ali sursautait, en
proie à un spasme comme sous une morsure à l'estomac. La douleur le secouait de
convulsions et tordait son corps en crispations étranges. Ils le lavèrent avec
du vinaigre et, au début de l'après-midi, reprirent espoir car, au toucher, sa
peau semblait presque fraîche. Mais ce fut comme si la fièvre s'était ramassée et,
quand elle reprit, il était plus brûlant que jamais, ses lèvres se fendirent et
ses yeux roulèrent, exorbités. Ces cris et ces gémissements qui se perdaient au
milieu des autres, les trois étudiants les reconnaissaient entre tous car les
circonstances avaient fait d'eux sa famille désormais.
    La nuit, ils
veillèrent tour à tour près de son lit. Il semblait en proie à la torture sur
sa paillasse dévastée quand Rob, à l'aube, vint relayer Mirdin. Ses yeux
étaient ternes et sans regard, la fièvre avait ravagé son corps et creusé son
visage rond d'adolescent, où maintenant les pommettes saillantes et le nez en
bec de faucon suggéraient le Bédouin qu'il aurait pu devenir.
    Rob lui prit
les mains et le sentit s'affaiblir. Par moments, pour échapper à cette impression
d'impuissance, il cherchait le pouls d'Ali à ses poignets, et ses battements
incertains et sans force lui rappelaient les coups d'ailes d'un oiselet qui se
débat. Quand Karim arriva pour prendre sa place, Ali était mort. Fini les
illusions d'immortalité : l'un d'eux le suivrait peut-être, et ils
commencèrent à comprendre vraiment ce que signifiait la peur.
    Réunis devant
le bûcher, ils prièrent chacun à leur manière.
    Ce matin-là,
ils constatèrent un changement décisif à l'hôpital : on amenait beaucoup
moins de malades. Trois jours plus tard, le kelonter annonça qu'il n'était mort
la veille que onze personnes.
    Se promenant
aux alentours, Rob fit une observation singulière : des rats crevés ou
agonisants gisaient par terre, et il s'aperçut en les regardant de plus près
qu'ils portaient tous un petit mais très reconnaissable bubon. Ils avaient donc
tous la peste. Il en choisit un dont la fourrure encore chaude grouillait de
puces et, le couchant sur une grande pierre plate, il l'ouvrit avec son
couteau, aussi soigneusement que si al-Juzjani ou un autre professeur
d'anatomie avait regardé par-dessus son épaule.
     
    Rapport de
l'équipe médicale d'Ispahan
     
    Fait le 5 e
jour du mois de Rabi II, 413e année de l'Hégire.
     
    Divers animaux
ont péri comme les hommes ; on nous a rapporté en effet que des chevaux,
des vaches, des moutons, des chameaux, des chiens, des chats et des oiseaux
étaient morts de la peste dans la région d'Anshan. La dissection de six rats
pesteux a été instructive. Mêmes symptômes externes que chez les victimes
humaines : regard fixe, muscles contractés, lèvres ouvertes, langue
noirâtre et saillante, bubon dans la région de l'aine ou derrière l'oreille.
    Cette
dissection a fait clairement apparaître pourquoi l'ablation chirurgicale du
bubon était presque toujours un échec. La lésion paraît avoir de profondes
racines, comme celles de la

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