Le médecin d'Ispahan
jugement sur un camarade.
« Il peut
avoir des difficultés à l'examen, mais c'est déjà un merveilleux médecin, calme
et ferme dans l'épreuve et compatissant pour ceux qui souffrent.
– Va
maintenant au palais du Paradis, car le chah est impatient de t'entendre sur la
présence de l'armée seldjoukide à Chiraz. »
L'hiver
s'achevait mais le palais était encore glacial. Le long des sombres galeries,
Rob suivait le capitaine des Portes dont les bottes faisaient sonner les dalles
de pierre. Ala Chah était seul, assis à une grande table.
« Jesse
ben Benjamin, Majesté, dit Khuff tandis que Rob se prosternait.
– Assieds-toi
près de moi, dhimmi, et tire la nappe sur tes genoux », dit le roi.
Rob obéit et
fut agréablement surpris de sentir l'air chaud qui montait de fours souterrains
par une grille au ras du sol. Il se gardait bien d'observer trop directement ou
trop longtemps le souverain mais le premier coup d'œil avait confirmé la rumeur
populaire : Ala avait des yeux de loup, la peau flasque sur ses traits de
faucon ; il était évident qu'il buvait trop. Il avait devant lui un
plateau divisé en carrés alternativement noirs et blancs, garni de figurines
sculptées. A côté, des coupes et un pichet de vin. Le chah les remplit et vida
aussitôt la sienne.
« Bois,
bois, pour que je voie un Juif heureux ! dit-il avec un regard impérieux
de ses yeux rouges.
– Puis-je vous
demander, Majesté, de m'en dispenser ? Boire ne me rend pas heureux, mais
maussade et sauvage. C'est pourquoi je ne l'apprécie pas comme d'autres, mieux
partagés que moi. »
Le chah parut
intéressé.
« Je
m'éveille chaque matin les mains tremblantes et une vive douleur derrière les
yeux. Tu es médecin. Quel est le remède ?
– Moins de
vin, Majesté, répondit Rob en souriant, et plus de chevauchées à l'air pur de
la Perse. »
Le regard
perçant scrutait son visage pour y surprendre l'insolence, mais il n'en trouva
pas.
« Alors,
tu chevaucheras avec moi, dhimmi.
– Je suis à
votre service, Majesté. »
Ala fît un
geste pour signifier que la question était réglée.
« Alors,
parlons des Seldjoukides à Chiraz. Dis-moi tout. »
Il écouta avec
attention ce que Rob avait appris sur les envahisseurs de l'Anshan. Puis il
conclut :
« Notre
ennemi du Nord-Ouest pensait nous encercler et s'établir au Sud-Est. S'il avait
réussi à conquérir tout l'Anshan, Ispahan aurait été prise entre les mâchoires
du rapace seldjoukide. Allah soit béni de leur avoir envoyé la peste !
Quand ils reviendront, nous serons prêts. »
Il tira entre
eux le grand échiquier.
« Connais-tu
ce jeu ?
– Non, sire.
– C'est un
passe-temps d'autrefois. Si l'on perd, c'est le chahtreng , le
" supplice du roi ", mais on l'appelle plutôt la chasse du
roi car il s'agit d'un combat. Je vais te l'apprendre, dhimmi », dit-il en
riant.
Il tendit à
Rob une des pièces : un éléphant sculpté, et lui fit toucher l'ivoire
poli.
« On l'a
sculpté dans une défense. Tu vois, nous avons les mêmes effectifs. Le roi se
tient au centre, assisté de son fidèle compagnon, le général. De chaque côté un
éléphant protège le trône de son ombre. Deux chameaux près des éléphants, avec
un homme sur chacun d'eux, puis deux chevaux avec leurs cavaliers prêts à
combattre. Aux extrémités du champ de bataille, un rukh , ou guerrier,
élève ses mains en coupe jusqu'à ses lèvres pour boire le sang des ennemis. En
avant, se déplacent les fantassins dont le devoir est d'assister les autres
pendant le combat. Si un fantassin réussit à traverser tout le champ de
bataille, il prend place, en héros, près du roi, comme le général. Le brave
général ne franchit jamais qu'une case à la fois, les puissants éléphants en
parcourent trois, surveillant tout le champ sur un rayon de deux mille pas. Le
chameau court aussi sur trois cases et les chevaux de même, en sautant
par-dessus sans les toucher. De tous côtés, le guerrier se déchaîne, traversant
le champ de bataille de bout en bout.
« Chaque
pièce se tient à son territoire et ne se déplace qu'autant qu'il lui est
permis. Si quelqu'un approche le roi, il crie : " Retire-toi, ô
chah ! " et le roi doit abandonner sa case. S'il voit sa route coupée
par le roi ennemi, le cheval, guerrier, le général, l'éléphant et l'armée, il
regarde dans les quatre directions en fronçant les sourcils. Et s'il voit ses
troupes battues, sa retraite
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