Le médecin d'Ispahan
éphémère.
« Da'ud »
murmura-t-elle en étreignant ses mains.
– Qui
était-ce ?
« Son
frère, mort depuis des années », répondit Ibn Sina à l'interrogation
muette de Rob.
Reza retomba
dans l'inconscience et ses doigts se relâchèrent. Ils la laissèrent et
redescendirent de la tour.
« Combien
de temps ?
– Bientôt, Hakim-bashi .
C'est une question de jours... On ne peut rien pour elle ?
– La dernière
preuve d'amour que je puisse lui donner, ce sont des infusions de plus en plus
fortes. »
Il reconduisit
son élève jusqu'à la porte, le remercia et retourna près de sa malade.
« Maître ! »
appela quelqu'un. Rob en se retournant reconnut le gros eunuque qui gardait la
seconde épouse.
« Voulez-vous
me suivre, s'il vous plaît ? »
Ils sortirent
du jardin par une porte si basse qu'il leur fallut se courber, et se
retrouvèrent dans un autre, près de la tour sud.
« Qu'y
a-t-il ? »
L'esclave ne
répondit pas, mais quelque chose attira le regard de Rob et il aperçut à une petite
fenêtre un visage voilé penché vers lui. Leurs yeux se rencontrèrent, alors
elle détourna les siens dans un tourbillon de voiles et la fenêtre resta vide.
L'eunuque sourit, en haussant les épaules.
« Elle
m'a donné l'ordre de vous amener ici. Elle avait envie de vous voir,
maître. »
Peut-être
aurait-il rêvé d'elle cette nuit-là s'il en avait eu le temps mais il étudiait
les lois de la propriété. L'huile baissait dans sa lampe quand un bruit de
sabots s'arrêta devant la porte. On frappa. Pensant à des voleurs, étant donné
l'heure tardive, il saisit son épée.
« Qui est
là ?
– Wasif,
maître. »
Il ne
connaissait pas de Wasif, mais crut identifier la voix. C'était l'eunuque, en
effet, tenant un âne par la bride.
« Le
hakim a besoin de moi ?
– Non, maître,
c'est elle qui veut que vous veniez. »
Il ne sut que
répondre et l'esclave perçut son étonnement.
« Attends »,
dit Rob brusquement en refermant la porte.
Il revint
après une toilette rapide et, montant sans selle son cheval brun, suivit dans
les rues désertes le gros homme sur son âne. Une entrée particulière les amena
près de la porte de la tour sud et l'eunuque, s'inclinant, invita Rob à monter
seul.
On aurait dit
une rêverie de ses innombrables nuits sans sommeil. Le sombre passage, jumeau
de celui de la tour nord, tournait comme les spires d'une coquille de nautilus
et menait, tout en haut, à un vaste harem. Elle l'attendait sur un grand lit de
coussins, telle une Persane prête à l'amour, les mains, les pieds et le sexe
rougis de henné et adoucis d'huile. Ses seins, décevants, étaient à peine plus
gros que ceux d'un garçon.
Il releva son
voile. Elle avait les cheveux noirs, luisants et tirés en arrière contre son
crâne rond. Il avait imaginé les beautés interdites d'une Cléopâtre ou d'une
reine de Saba et découvrait avec surprise une jeune fille aux lèvres
tremblantes qu'elle léchait nerveusement d'un bout de langue rose. Un charmant
visage en forme de cœur, au menton pointu, au nez court et droit. A sa délicate
narine droite pendait un anneau si étroit qu'il y aurait tout juste glissé son
petit doigt. Il avait déjà trop vécu dans ce pays : les traits nus d'un
visage l'excitaient davantage qu'un sexe rasé.
« Pourquoi
t'appelle-t-on Despina la Vilaine ?
– Ibn Sina en
a décidé ainsi, pour conjurer le mauvais œil », dit-elle, tandis qu'il se
plongeait dans les coussins près d'elle.
Le lendemain,
il travaillait avec Karim sur les lois du Fiqh relatives au mariage et au
divorce : contrat, témoins, droits égaux des différentes épouses d'un
homme. Le divorce était autorisé en cas de stérilité, de mauvais caractère et
d'adultère. Selon la Shari'a, la peine des adultères était la lapidation, mais
on en avait abandonné l'usage depuis deux siècles. La femme adultère d'un homme
riche et puissant pouvait être décapitée, mais les pauvres recevaient une
sévère bastonnade avant d'être répudiées ou non, au gré de leur mari.
Karim était
relativement à l'aise avec la Shari'a, dont il avait observé très tôt autour de
lui les règles pieuses. Mais le Fiqh le désorientait : il ne se
rappellerait jamais tant de lois et de formules.
« Si tu
ne retrouves pas les termes exacts, tâche de te référer à la religion ou à la
vie du Prophète ; peut-être s'en contenteront-ils. Mais apprends-en le
plus
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