Le médecin d'Ispahan
était
charpentier.
– J'ai entendu
parler des guildes européennes, dit lentement le maître. II y a très peu de
Juifs là-bas et on ne les admet pas dans les guildes. »
Il sait, se
dit Rob angoissé. Ibn Sina l'observait paisiblement. Il se sentit perdu.
« Tu veux
à tout prix apprendre l'art et la science de guérir.
– Oui,
maître. »
Le médecin
soupira, hocha la tête et détourna les yeux.
« Reza
venait de Boukhara, elle avait quatre ans de plus que moi. Nos pères étaient
tous deux collecteurs d'impôts et le mariage fut arrangé à l'amiable – sauf
pour un détail, car son aïeul reprochait à mon père d'être ismaélien et d'user
de haschisch pendant ses dévotions. Enfin on nous maria et elle m'est restée
fidèle toute sa vie. »
Le vieil homme
regarda Rob.
« Tu as
le feu sacré. Quel est ton désir ?
– Etre un bon
médecin. Comme vous seul savez l'être », ajouta-t-il en silence, mais il
lui sembla qu'il avait été compris.
« Tu sais
déjà soigner. Quant à la qualité... Pour être un bon médecin, il faut répondre
à une énigme insoluble.
– Et quelle
est la question ?
– Tu la
découvriras peut-être un jour. Cela fait partie de l'énigme. »
47. L'EXAMEN
L'après-midi où Karim passait son examen, Rob s'absorba plus que jamais dans sa tâche
pour éviter de penser à la séance qui allait s'ouvrir dans la salle de réunion
de la maison de la Sagesse. Mirdin et lui avaient fait du bibliothécaire leur
complice et savaient grâce à lui le nom des examinateurs possibles.
« Il aura
Sayyid Sa'di en philosophie. »
Ce n'était pas
mal : un professeur exigeant, mais qui ne cherchait pas à faire échouer
les candidats. Plus inquiétant, Nadir Bukh, juriste autoritaire, qui avait déjà
recalé Karim, allait l'interroger en droit ! Il aurait le mullah Abul Bakr
en théologie, et en médecine le prince des médecins lui-même. Rob avait espéré
que Jalal ferait passer l'épreuve de chirurgie mais il le vit auprès des
malades comme d'habitude et l'aida à soigner une épaule démise. Il alla ensuite
à la bibliothèque lire Celsus, puis s'assit sur les marches en compagnie de
Mirdin. Le temps leur semblait interminable.
« Le
voilà ! » cria-t-il enfin, apercevant Karim qui se frayait un chemin
parmi les étudiants.
« Il faut
m'appeler hakim, maintenant, messieurs les étudiants ! »
Ils se
précipitèrent pour l'embrasser, hurlant, dansant, se bourrant de coups de
poing. Hadji Davout Hosein, qui passait, voyant les élèves de son académie se
conduire aussi mal, en pâlit d'indignation.
« Je vous
emmène chez moi », dit Mirdin.
C'était la première
fois qu'il les invitait. Mirdin habitait, loin de chez Rob, deux pièces louées
dans un petit immeuble à côté de la synagogue de Sion. La famille fut une
agréable surprise : une femme timide, Fara, courte, brune, au regard
paisible ; deux fils aux joues rondes cramponnés aux jupes de leur mère.
Elle servit des gâteaux et du vin, et après de nombreux toasts les trois amis
allèrent chez un tailleur qui prit les mesures du nouvel hakim pour sa robe
noire de médecin.
« C'est
une nuit pour les maidans ! » s'écria Rob.
Ils
s'installèrent au crépuscule dans une taverne qui dominait la place centrale,
pour un excellent dîner persan arrosé de vin musqué, dont Karim n'avait guère
besoin, ivre qu'il était déjà de sa nouvelle dignité. Ils voulurent tout savoir
de l'examen, des questions posées et de ses réponses.
« Ibn
Sina ne cessait de m'interroger en médecine. " Quelles déductions
peut-on tirer de l'examen de la sueur ?... Très bien, maître Karim, très
complet. Et sur quelles observations générales peut-on fonder un
diagnostic ? Quels principes d'hygiène doit observer un voyageur par terre
et par mer ? " On aurait dit qu'il savait combien j'étais fort
en médecine et faible dans les autres matières. Sayyid Sa'di m'a prié de
discuter cette idée de Platon, que tous les hommes cherchent le bonheur. Grâce
à toi, Mirdin, je l'avais étudiée à fond. J'ai répondu longuement, en me
référant au prophète : le bonheur est la récompense d'Allah pour
l'obéissance et la prière fervente.
– Et Nadir
Bukh ? demanda Rob.
– Le juriste ?
dit Karim en haussant les épaules. Il m'a interrogé sur le châtiment des
criminels selon le Fiqh. Je n'en avais aucune idée. Alors j'ai dit que toute
sanction était fondée sur les écrits de Mahomet –
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