Le médecin d'Ispahan
lui
raconta comment la veuve l'avait attiré dans son lit.
« Moi
aussi, j'avais douze ans quand mon père a envoyé sa sœur coucher avec moi,
comme c'est l'usage chez nous pour les jeunes princes. Ma tante a été une
tendre initiatrice, presque une mère. Et j'ai cru pendant des années qu'après
l'amour on avait toujours un bol de lait chaud et une friandise. »
Ils baignaient
en silence dans l'odeur sulfureuse de l'eau.
« Je
voudrais être le roi des rois, dit enfin Ala. J'en ai le nom mais je ne possède
pas d'empire comme Xerxès, Cyrus ou Alexandre. Je ne suis roi qu'à Ispahan. A
l'ouest, Toghrul-beg règne sur les nomades seldjoukides ; à l'est, Mahmud
gouverne le sultanat de Ghazna. Ce sont les deux rivaux qui peuvent me disputer
le pouvoir. Au-delà, en Inde, il n'y a que deux douzaines de petits rajahs plus
ou moins concurrents. Autrefois, deux grands rois mirent en jeu tout un empire
en combat singulier devant le front de leurs troupes. Le vainqueur, Ardachir,
fut le premier à porter le titre de roi des rois. Aimerais-tu être le roi des
rois ?
– Non. Je veux
être médecin.
– C'est
étonnant, dit le chah, perplexe. On m'a flatté toute ma vie, et toi, tu ne
donnerais pas ta place contre celle d'un roi. Je me suis renseigné ; on
dit que tu es un étudiant exceptionnel et que tu promets d'être un remarquable
médecin. J'ai besoin de gens comme toi et non de lèche-bottes. Je veux écarter
Qandrasseh et recréer par la force des armes un empire dont je serai vraiment
le roi des rois. »
Il saisit le
poignet de Rob.
« Veux-tu
être mon ami, Jesse ben Benjamin ? »
Rob se sentit
piégé par un chasseur habile. Ala s'assurait ses loyaux services pour ses objectifs
personnels et tout était froidement prémédité. Il aurait préféré éviter la
politique et regrettait cette promenade matinale. Mais c'était trop tard, et il
payait toujours ses dettes.
« Recevez
mon allégeance, Majesté, dit-il en serrant le poignet du roi.
– Tu peux
amener une femme dans ma grotte si tu veux », dit enfin le roi en
souriant.
« Je
n'aime pas cela, dit Mirdin en apprenant la sortie à cheval avec Ala. Il est
imprévisible et dangereux. »
Karim, au
contraire, pensait que c'était une chance. Rob s'en serait bien passé et se
réjouit de n'être pas convoqué les jours suivants. Il avait besoin d'autres
amitiés que celle du roi et passait presque tout son temps libre avec ses deux
camarades. Karim s'installait dans sa nouvelle vie ; il gagnait désormais
un peu d'argent pour son travail au maristan et fréquentait plus que jamais les
mauvais lieux des maidans.
« Viens
avec moi, Jesse, j'en connais une qui a les cheveux noirs comme l'aile du
corbeau et fins comme la soie. »
Mais Rob
secouait la tête en souriant. Son rêve, c'était une fille aux cheveux roux.
Puis,
brusquement, il ne fut plus question de putains. Karim disparaissait le
soir ; il avait, disait-il, une liaison avec une femme mariée dont il
était amoureux.
Rob allait de
plus en plus chez Mirdin. Il y vit un échiquier avec des pièces de bois et, au
lieu des foudroyantes et sanglantes victoires d'Ala, il apprit peu à peu, avec
son ami, les beautés du jeu. C'était un foyer paisible. Après le simple repas
servi par Fara, on allait souhaiter bonne nuit au petit Issachar, qui avait six
ans. L'enfant posait sans cesse des questions, auxquelles son père répondait
toujours.
« Mais,
dit-il un jour, si notre Père céleste est invisible, comment sait-il Lui-même à
quoi Il ressemble ? »
O Mirdin, se
dit Rob, toi qui sais tout de la Loi écrite et orale, des secrets de
l'échiquier, de la philosophie et de l'art de guérir, que vas-tu répondre à
cela ?
« Il est
dit dans la Torah qu'il a fait l'homme à Son image. En te regardant, mon fils,
Il se voit en toi. »
49. CINQ JOURS À L'OUEST
Une grande caravane arriva d'Anatolie et un chamelier apporta au maristan un
panier de figues sèches pour le Juif nommé Jesse. C'était le fils aîné de
Dehbid Hafiz ; le kelonter de Chiraz témoignait ainsi sa gratitude à ceux
qui avaient combattu la peste noire. Rob but du chai avec le jeune homme, qui
devait repartir chez lui ; les figues étaient moelleuse, sucrées, et Sadi
fut heureux et fier que le dhimmi le charge, en échange de porter à son père du
vin d'Ispahan.
Quelles nouvelles
apportait la caravane ? Il n'y avait plus trace de peste à Chiraz. On
avait signalé des troupes
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