Le médecin d'Ispahan
cheval. Je me noyais
dans cette cour minable. N'est-ce pas agréable d'être délivré de tous ces
gens ?
– Certes,
Majesté. »
Rob jeta un
coup d'œil derrière lui ; la cour entière suivait : Khuff et ses
gardes, les écuyers, les animaux de charge, les chariots, etc.
« Aimerais-tu
un cheval plus vif ?
– Ce serait
trop de générosité, Majesté. Cette monture convient à mes capacités.
– Tu n'es
vraiment pas persan, car chez nous personne ne perdrait une chance d'améliorer
sa monture ; on naît cavalier et chevaucher est le meilleur de la
vie. »
Il éperonna
vivement son cheval, qui sauta un arbre mort, et, se retournant sur sa selle,
il tira par-dessus son épaule gauche une flèche de son grand arc, riant aux
éclats parce qu'il avait manqué son but.
« Tu
connais l'histoire de cet exercice ?
– Non, sire,
mais je l'ai vu faire à vos cavaliers le jour de la fête.
– Nous le
pratiquons souvent et certains y sont excellents. On l'appelle le tir parthe.
Il y a huit cents ans, les Parthes étaient un des peuples de notre terre ;
ils vivaient à l'est de la Médie, sur un territoire de terribles montagnes et
de désert non moins redoutable, le Dacht-i Kevir.
– J'ai
traversé une partie de ce désert pour venir jusqu'à vous.
– Alors, tu
imagines quelle sorte de population pouvait l'habiter. On se battait à Rome
pour le pouvoir et Crassus, gouverneur de Syrie, avait besoin d'une conquête
militaire pour surpasser ses rivaux, César et Pompée. Il s'attaqua aux Parthes,
dont le général, Surena, avait une armée d'archers montés sur des chevaux
rapides, et de redoutables lanciers. Les légions de Crassus, à la poursuite de
Surena, furent décimées dans le désert sans avoir eu le temps de se mettre en
carré, selon leur tactique habituelle. Et ce qui les surprit le plus fut de
voir les Parthes se retirer en décochant des flèches par-dessus leurs épaules,
qui toutes atteignaient leur but. Ce fut une sanglante défaite pour les
Romains, avec des pertes insignifiantes du côté parthe. Et c'est pourquoi,
depuis l'enfance, tous les Persans pratiquent la technique de la flèche du
Parthe. »
Ala lança son
cheval et tira une nouvelle flèche qui se planta en vibrant dans le tronc de
l'arbre. Alors, il brandit son arc au-dessus de sa tête et à ce signal, tout le
monde s'empressa. Sur un épais tapis, on dressa la tente du roi, et l'on
apporta les mets au son des tympanons. Il y avait des volailles, du pilah, des
melons conservés en cave tout l'hiver, et trois sortes de vins. Le chah fit
asseoir Rob près de lui et mangea peu mais but beaucoup. Puis il demanda
l'échiquier et gagna trois parties de suite.
« Je
voudrais te parler de Qandrasseh, dit-il enfin. Il croit, à tort, que la
fonction du trône est de punir ceux qui enfreignent les lois du Coran. Sa
fonction, c'est de développer la nation, de la rendre toute-puissante et non de
s'occuper des menus péchés des villageois. Mais l'imam se prend pour la droite
terrible d'Allah. Ce n'est pas assez pour lui d'être monté de sa petite mosquée
de Médie jusqu'au rang de vizir. Parent éloigné des Abassides, il a dans ses
veines le sang des califes de Bagdad, et veut régner un jour sur Ispahan, en
renversant mon trône de son poing religieux. »
Rob eut peur.
Le chah pourrait, à jeun, regretter ces propos intempérants et se débarrasser
du confident. Mais non, le vin ne lui faisait pas perdre l'esprit ; après
un nouveau pichet, ils remontèrent à cheval pour une promenade à loisir, parmi
les collines couvertes de fleurs.
« Je vais
te mener à un endroit que tu ne devras montrer à personne », dit Ala, en
le conduisant à travers les fourrés jusqu'à l'entrée d'une grotte.
Il faisait
chaud à l'intérieur, où flottait une légère odeur d'œufs pourris au-dessus d'un
bassin d'eau brune entre des roches grises tachées de lichens pourpres.
« Allons,
déshabille-toi, dhimmi ! »
Rob le fit
avec réticence. Le chah aimerait-il les hommes ? Mais non, il était déjà
dans l'eau et se contenta de remarquer, non sans mauvaise foi, que l'Européen
n'était pas « exceptionnellement pourvu ».
« Je n'ai
pas besoin d'être bâti comme un cheval, ajouta-t-il en souriant, car j'ai
toutes les femmes que je veux et je ne les prends jamais deux fois. »
Il demanda le
vin, but et s'allongea dans l'eau chaude en fermant les yeux.
« Quand
as-tu perdu ton pucelage ? » demanda-t-il.
Rob
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