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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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était,
pensait-il, plus facile pour le roi de minimiser le coup d'audace du vizir que
de l'attaquer de front.
    « Il lui
abandonne Karim, dit Rob, comme au jeu du chah il laisse prendre une pièce dont
il peut se passer.
    – Il y aura
une audience dans deux jours. Je demanderai en public la clémence du chah. Je
suis le mari, Karim est son favori et le héros du chatir. Il pourra faire grâce
en feignant de céder au vœu de ses sujets. »
    Mais en
quittant le palais ils rencontrèrent al-Juzjani qui les attendait. Il apportait
de mauvaises nouvelles : Karim et Despina avaient été jugés par la cour
islamique sur le témoignage de trois mullahs. Pour éviter la torture, sans
doute, ils ne s'étaient pas défendus. Le mufti les avait condamnés à mort. Ils
seraient exécutés le lendemain matin.
    « Despina
sera décapitée et Karim éventré. »
    Ils se
regardèrent, en plein désarroi. Rob espérait encore, mais Ibn Sina secoua la
tête.
    « Nous ne
pouvons pas éviter la sentence, mais seulement leur rendre la mort moins dure.
     
     
    – Alors il
faut agir, dit calmement al-Juzjani. Payer des complaisances, et substituer un
médecin qui ait notre confiance à l'étudiant de service à la prison du
kelonter. »
    Rob frissonna
malgré la douceur de l'air printanier.
    « J'irai »,
dit-il.
    Il ne dormit
pas cette nuit-là. Levé avant l'aube, il se rendit à cheval, par les rues
encore sombres, jusqu'à la demeure d'Ibn Sina. Il n'apercevrait plus Wasif dans
l'ombre ; la chambre de la tour était sans lumière et sans vie. Le maître
lui remit une cruche de jus de raisin.
    « Il est
fortement mêlé d'opiacés et de poudre de chanvre indien pur, du buing .
C'est là le risque : il faut en boire beaucoup, mais si l'un des deux en
prend trop et ne peut plus marcher quand on viendra le chercher, tu mourras
avec eux.
    – A la grâce
de Dieu, dit Rob avec un signe de tête.
    – A la grâce
de Dieu. »
    La sentinelle
de la prison, à qui il se présenta comme le médecin, lui fit donner une
escorte. Au quartier des femmes, on entendait une prisonnière chanter et
sangloter alternativement. Non, ce n'était pas Despina. Dans sa petite cellule,
elle attendait, ni lavée ni parfumée, ses cheveux pendant en mèches éparses.
Son joli corps menu disparaissait sous une robe noire, malpropre. Il posa la
cruche de buing, s'approcha d'elle et leva son voile.
    « Je t'ai
apporté quelque chose à boire. »
    Pour lui, elle
resterait toujours la femina , à la fois sa sœur Anne Mary, sa femme et
la putain du maidan. Toutes les femmes du monde. Il vit des larmes dans ses yeux
mais elle refusa le breuvage.
    « Il faut
boire, cela t'aidera. »
    Elle secoua la
tête. « Je serai bientôt au paradis », semblaient dire ses yeux
terrifiés.
    –
Donne-le-lui », murmura-t-elle, et il lui dit adieu.
    Les pas du
soldat résonnaient dans le couloir. On descendit quelques marches puis une
cellule s'ouvrit dans une autre galerie. Karim était pâle. Ils s'étreignirent
très fort.
    « Elle
est... ?
    – Je l'ai vue,
elle va bien.
    – Je ne lui
avais pas parlé depuis des semaines. C'était juste pour entendre sa voix, tu
comprends ? J'étais sûr de n'être pas suivi ce jour-là. »
    Sa bouche
tremblait. Il prit la cruche, but longuement et la rendit vide aux deux tiers.
    « Ça va
agir tout de suite. Ibn Sina l'a préparé lui-même.
    – Ce vieil
homme que tu vénères et que j'ai souvent rêvé d'empoisonner pour l'avoir, elle,
toute à moi...
    – Tout homme a
de mauvaises pensées, mais tu ne l'aurais jamais fait. Tu
comprends ? »
    Il sentait,
sans savoir pourquoi, que Karim devait absolument le croire avant que le
narcotique ne fasse son effet. Il le regardait anxieusement : s'il en
avait trop bu et que la drogue agît trop vite, le tribunal ferait exécuter un
second médecin. Les yeux se voilèrent ; Karim ne dormait pas mais il
restait silencieux. Enfin on entendit des pas.
    « Karim !
    – C'est
maintenant ?
    – Pense au
chatir, rappelle-toi le plus beau jour de ta vie. »
     
     
     
    La porte
s'ouvrit : trois soldats et deux mullahs.
    « Zaki-Omar
aurait pu être un autre homme », dit Karim en adressant à son ami un
sourire absent.
    Un soleil
éclatant illuminait le cour. Dernière cruauté : c'était une douce et belle
matinée. Les genoux de Karim fléchissaient, mais on pouvait penser que c'était
de peur. Au-delà de la double rangée de carcans, obsession de ses cauchemars,
Rob

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