Le médecin d'Ispahan
personne aux portes du Paradis. Tout semblait à
l'abandon et une seule sentinelle montait la garde.
« Je suis
Jesse, hakim au maristan. Le chah m'a convoqué. »
Le jeune
soldat parut hésiter, puis il s'effaça pour laisser passer le cheval. Rob
s'arrêta derrière les écuries, là où s'était installé le forgeron indien. Dhan
Vangalil et son fils aîné avaient été enrôlés dans l'armée ; sa famille
était partie, laissant la maison déserte, et l'on avait détruit le four si
soigneusement construit.
Sans
rencontrer de garde, il attacha son cheval près du pont-levis et ses pas
résonnèrent dans le palais vide. Enfin, dans un coin de la salle d'audience, il
trouva Ala assis par terre, seul devant un pichet de vin et un échiquier. Aussi
négligé que ses jardins, il avait la barbe hirsute, des poches violettes sous
les yeux et sa maigreur accusait la dureté de son profil de faucon.
« Eh
bien, dhimmi, tu viens prendre ta revanche ? » dit-il en voyant Rob
debout, la main sur la garde de son épée.
Il fallut au
dhimmi un moment pour comprendre que le roi parlait du jeu du chah. Haussant
les épaules, il s'installa en face de lui et la partie commença.
« Des
troupes fraîches », dit Ala sans humour en avançant un fantassin d'ivoire.
Rob s'étonna
de l'absence de Farhad. Il avait fui, ce que n'aurait jamais fait Khuff. Zi
l'éléphant était tombé devant al-Karaj, et son mahout avant lui, une lance en
pleine poitrine.
« Assez
parlé », fit soudain le chah et il s'absorba dans le jeu car son
adversaire avait l'avantage.
Il essayait en
vain ses vieilles ruses contre un joueur expérimenté qui avait appris à oser
avec Mirdin, à prévoir avec Ibn Sina. La sueur perlait sur son front. Il ne lui
resta plus, bientôt, que trois pièces : le roi, le général et un chameau.
Rob s'empara du chameau, en regardant le roi dans les yeux, et, avec les cinq
pièces qu'il avait encore, il réussit à capturer le général blanc. Alors, son
général d'ébène mit en échec le roi d'ivoire.
« Retire-toi,
ô chah », dit-il doucement.
Il le dit
trois fois, en disposant ses pièces de manière à interdire tout mouvement au
vaincu.
« Chahtreng,
dit-il enfin.
– Oui. Le
supplice du roi », reprit Ala en balayant les figurines qui restaient sur
l'échiquier.
Ils se
regardèrent et Rob remit la main à son épée.
« Masud a
dit que, si le peuple ne vous livrait pas, les Afghans tueraient les habitants
et pilleraient la ville.
– Ils le
feront, qu'on me livre ou pas. Il ne reste qu'une chance à Ispahan. Je défierai
Masud en combat singulier : roi contre roi. »
Rob fronça les
sourcils ; il aurait voulu le tuer, pas l'admirer. Il regarda le roi
tendre son grand arc, ceindre l'épée d'acier que Vangalil lui avait forgée.
« Vous
allez vous battre ? Maintenant ?
– C'est le
moment.
– Vous voulez
que je vous accompagne ?
–
Non ! »
Le ton
méprisant de l'exclamation n'irrita pas le dhimmi, au contraire. Mourir aux
côtés du chah, pour une impulsion irréfléchie, n'aurait été ni raisonnable ni
glorieux. Mais Ala s'était radouci.
« C'était
une offre virile, dit-il. Réfléchis à la récompense que tu souhaiterais. A mon
retour, je t'accorderai un calaat. »
Rob monta tout
en haut du chemin de ronde, d'où l'on voyait les plus beaux quartiers
d'Ispahan, les habitants sur les remparts, plus loin la plaine et le camp de
Ghazna. Il attendit longtemps, les cheveux au vent, sans voir paraître le roi.
L'aurait-il trompé ? S'était-il enfui ? Que ne l'avait-il tué tout à
l'heure !
Il le vit
enfin. Le chah sortait de la ville, sur son admirable étalon blanc qui
caracolait en secouant impatiemment la tête. Il marcha sur le camp ennemi, puis
s'arrêta et se dressa sur ses étriers pour crier son défi. Ses sujets aussitôt,
se rappelant le duel légendaire du premier chahinchah, l'acclamèrent du haut
des remparts.
En face, une
petite troupe de cavaliers s'avança, précédée d'un homme au turban blanc, Masud
sans doute, qui, lui, n'avait que faire des légendes. Et les archers à cheval
surgirent des rangs afghans. Sans chercher à leur échapper, Ala se dressa à
nouveau et hurla des insultes au jeune sultan qui lui refusait le combat. Les
soldats allaient l'atteindre quand, brandissant son arc immense, il commença à
fuir sur son beau cheval, qui avait à peine la place de galoper. Alors, se
retournant sur sa selle, il décocha un trait qui
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