Le médecin d'Ispahan
oncle Issachar.
– Il se
portait bien quand j'ai quitté Mascate, répondit Lonzano.
– Bien, reprit
le rabbenu. La route d'Erzeroum est aux mains de bandits turcs. La peste les
emporte ! Ils tuent et rançonnent à leur gré. Vous les éviterez en prenant
une petite piste en altitude ; un de nos garçons vous accompagnera. »
Ils quittèrent
Bayburt au petit matin par un chemin étroit et caillouteux qui surplombait des
précipices et le guide les laissa sains et saufs à la grand-route. La nuit
suivante, ils étaient à Karakose, où une douzaine de familles juives, de riches
commerçants, vivaient sous la protection d'un puissant chef de guerre, dont le
château dominait la ville. On montait l'eau à dos d'âne jusqu'à la forteresse
et les citernes étaient toujours pleines en prévision d'un siège. En échange de
sa protection, les Juifs devaient fournir de riz et de millet les magasins du
seigneur Ali ul Hamid. Rob et ses compagnons quittèrent sans regret un lieu où
la sécurité dépendait du caprice d'un homme puissant.
Ils
traversaient une région dangereuse et rude, mais le réseau de solidarité était
efficace : chaque soir, ils trouvaient de l'eau douce, une nourriture
saine et un abri, avec des conseils pour l'itinéraire suivant. Le visage de
Lonzano perdait peu à peu son expression soucieuse. Un vendredi après-midi, ils
arrivèrent à Igdir, un petit village à flanc de montagne, et y séjournèrent un
jour de plus pour ne pas voyager pendant le sabbat. Ils se délectèrent de
cerises noires et de gelée de coings. Aryeh lui-même était plus détendu et Loeb
expliqua à Rob le langage par signes dont les marchands juifs usaient en Orient
pour conduire leurs négociations sans le secours de la parole.
« On le
fait avec les mains : un doigt tendu signifie dix, plié, cinq ; tenu
de manière à n'en montrer que le bout, cela fait un ; la main entière
compte pour cent et le poing fermé pour mille. »
Le matin où
ils quittèrent Igdir, ils chevauchèrent côte à côte, marchandant en silence
avec leurs mains, négociant des cargaisons imaginaires, achetant et vendant des
épices, de l'or, des royaumes...
« Nous ne
sommes pas loin du mont Ararat », dit Aryeh.
Rob observait
le paysage aride, hostile, montagneux.
« Qu'est-ce
que Noé a bien pu penser en quittant l'arche ? » demanda-t-il, et
Aryeh haussa les épaules.
A Nazik, ils
furent retardés par un mariage turc. La communauté juive était établie dans un
grand défilé rocheux et comptait quatre-vingt-quatre habitants au milieu
d'Anatoliens peut-être trente fois plus nombreux.
« Nous
n'osons pas quitter notre quartier, dirent-ils. La fête est commencée et les Turcs
sont très excités. »
Ils restèrent
enfermés quatre jours. La nourriture ne manquait pas et il y avait un bon
puits. Les voyageurs dormirent sur de la paille propre dans une grange, fraîche
malgré le soleil ardent. Ils entendaient, venant de la ville, des bruits de
bagarre et de festivités d'ivrognes. Il plut une bordée de pierres lancées de
l'autre côté du mur sur le quartier juif, mais personne ne fut blessé. Le calme
revenu, un des fils du rabbenu s'aventura chez les Turcs : leur fête
sauvage les avait épuisés.
Il fallut
ensuite traverser une région sans colonie juive ni protection. Le troisième
matin après le départ de Nazik, ils descendirent de leurs ânes au bord d'une
grande étendue d'eau bordée d'une boue blanche et craquelée.
« C'est
le lac Urmiya, dit Lonzano. Il est salé et peu profond. Au printemps, les
ruisseaux charrient les minéraux jusqu'ici du haut des montagnes, mais aucun
cours d'eau ne vide le lac, et quand le soleil d'été l'assèche, le sel se
dépose au bord, mets-en une pincée sur ta langue. »
Rob goûta,
prudemment, et fit la grimace.
– Tu as goûté
la Perse, dit Lonzano en riant.
– Nous sommes
en Perse ?
– Oui. C'est
la frontière. »
Rob était
déçu. Un si long voyage pour... ça !
« Ne
t'inquiète pas. Tu vas adorer Ispahan, j'en suis sûr. Repartons, nous avons
beaucoup de chemin à faire. »
Mais le
barbier tint d'abord à pisser dans le lac Urmiya, pour ajouter sa « cuvée
spéciale » anglaise au sel persan.
36. LE CHASSEUR
Aryeh ne cachait pas son hostilité. Il surveillait ses paroles devant Lonzano et
Loeb, mais dès qu'ils ne pouvaient plus l'entendre, ses remarques à l'égard de
Rob devenaient franchement désagréables. Le barbier,
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