Le médecin d'Ispahan
sous les pas des hommes et des bêtes ; or
il y a quelquefois dessous de l'eau saumâtre ou des sables mouvants. On ne peut
pas s'y risquer dans l'obscurité. »
Il n'en dit
pas davantage et Rob n'osa pas insister sur un souvenir probablement
douloureux. Au crépuscule, ils s'allongèrent sur le sable, et le désert qui les
avait brûlés tout le jour se refroidit. Mais il n'était pas question d'allumer
un feu qui pourrait alerter d'éventuels ennemis.
Le matin,
surpris de la diminution de ses réserves d'eau, Rob se contenta de petites
gorgées avec le pain de son déjeuner ; il en donna bien davantage à ses
animaux qu'il fit boire dans son chapeau, et savoura une agréable sensation de
fraîcheur en le remettant sur sa tête.
Ils reprirent
vaillamment leur marche difficile. Quand le soleil fut au zénith, Lonzano
chanta les paroles de l'Ecriture : « Lève-toi et brille car c'est le
temps de ta lumière, et la gloire du Seigneur est sur toi. » L'un après
l'autre, tous reprirent après lui, louant Dieu, de leurs gorges sèches.
« Des
cavaliers ! » cria soudain Loeb en apercevant, loin vers le sud, une
sorte de nuage, comme en aurait soulevé une grande armée. Mais finalement, ce
n'était qu'un nuage.
Les ânes et
les mules s'étaient déjà retournés, avec la sagesse de l'instinct, pour
présenter leur dos au vent chaud du désert. Il n'y avait plus qu'à s'abriter
derrière eux. Dans l'air lourd, oppressant, le sable et le sel attaquaient la
peau comme une pluie de cendres brûlantes.
Rob rêva de
Mary cette nuit-là. Il lisait sur son visage un bonheur qui venait de lui et
cela le rendait heureux. Puis elle brodait et, sans qu'il sache ni pourquoi ni
comment, c'était Mam et la chaude sécurité perdue depuis ses neuf ans.
Il s'éveilla,
toussant et crachotant, du sable et du sel dans la bouche, les oreilles,
irritant la peau sous les vêtements. C'était le troisième matin. Selon les
conseils du rabbenu, il fallait maintenant obliquer vers le sud. Mais où était
le nord, où était le sud ? Rob n'avait jamais su les distinguer. Que
deviendraient-ils si Lonzano se trompait de direction ? Le Dieu des Juifs
les perdrait-il tous pour punir un goy pécheur ?
Il fit boire
une dernière fois ses bêtes et, voyant le peu d'eau qui restait dans l'outre,
jugea inutile le la conserver. De toute façon, elle ne suffirait pas lui sauver
la vie. Il la finit par petites gorgées. A peine l'outre était-elle vide que la
soif se fit plus terrible que jamais : ses entrailles brûlaient, il avait
mal à la tête et voulant marcher il se rendit compte avec horreur qu'il
titubait.
Lonzano,
frappant dans ses mains, se mit à chanter : « Ai !
di-di-di, ai, di-di, ai , di ! » secouant la tête en
virevoltant, levant les bras et les genoux en mesure.
« Arrête,
idiot ! » cria Loeb avec des larmes de rage. Mais, un instant après,
il le suivait, chantant son tour et claquant les mains.
Puis Rob et
Aryeh lui-même les rejoignirent. Ils avaient tous les lèvres sèches et ne
sentaient plus leurs jambes. Ils se turent enfin et continuèrent à avancer, en
soulevant l'un après l'autre leurs pieds pesants. Surtout, ne pas penser qu'on
était peut-être perdus !
En début
d'après-midi, le tonnerre gronda au loin, longtemps avant les premières gouttes
de pluie. Une gazelle passa, suivie d'un couple d'ânes sauvages. Leurs bêtes
pressèrent le pas, trottant d'elles-mêmes comme pour aller au-devant de ce qui
les attendait. On remonta en selle à l'extrême limite de ce sable contre lequel
il avait fallu se battre trois jours durant.
Le paysage se
changeait en plaine, à la végétation d'abord éparse puis plus verdoyante. Au
soir, ils arrivèrent près d'un étang bordé de roseaux où plongeaient et
tournoyaient des hirondelles. Aryeh goûta l'eau et la trouva bonne.
« Il ne
faut pas laisser les animaux boire trop à la fois, dit Loeb. Sinon ils vont
s'effondrer. »
Les ânes et
les mules, prudemment abreuvés, furent attachés aux arbres. Alors chacun but
et, se débarrassant de ses vêtements, se baigna parmi les roseaux.
« Dans le
désert, vous aviez perdu des hommes ? demanda Rob à Lonzano.
– Nous avons
perdu mon cousin Calman. Il avait vingt-deux ans.
– Est-il tombé
sous la croûte de sel ?
– Non.
Incapable de se maîtriser, il a bu toute son eau. Alors il est mort de soif.
– Quel sont
les symptômes de la mort par la soif ?
– Je ne tiens
pas à y
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