Le médecin d'Ispahan
venir
derrière son paravent de barbier, avec leurs yeux opaques qu'il ne savait pas
guérir. Au diable Aristote et le Coran ! C'était pour cela qu'il était
venu jusqu'en Perse, se dit-il avec exaltation.
L'après-midi,
avec d'autres étudiants, il suivit al-Juzjani qui visitait ses patients,
enseignait et interrogeait les élèves tout en changeant les pansements et
retirant les points de suture. Rob constata la qualité et la diversité de ses
talents : cataractes en voie de guérison, amputation d'un bras, incision
de bubons, circoncisions, fermeture d'une plaie à la joue chez un jeune garçon
blessé par un bâton pointu.
Il fit ensuite
une tournée derrière le hakim Jalal ul-Din, spécialiste des fractures, dont les
patients étaient équipés de systèmes complexes d'extension et de ligature,
faits d'attelles, de cordes et de poulies. Il s'était inquiété en vain des
questions qui pourraient lui être posées : aucun médecin ne sembla
remarquer sa présence. Il aida les garçons de salle, après les visites, à
nourrir les malades et vider les eaux usées.
A la
bibliothèque de la madrassa, il y avait de nombreux exemplaires du Coran ;
il trouva aussi le traité d'Aristote, De l'âme , mais les Dix Traités
sur l'œil étaient déjà en main et une demi-douzaine d'étudiants l'avaient
réservé. Le gardien de la maison de la Sagesse était un homme bienveillant qui
passait son temps à faire des copies de livres achetés à Bagdad.
« Dès
qu'un professeur prescrit une lecture, il faut te précipiter chez moi, sinon
les autres auront l'ouvrage avant toi. »
Rob acquiesça
avec lassitude. Il emporta les deux livres et s'arrêta au marché juif pour
acheter une lampe et de l'huile à une femme maigre aux yeux gris.
« C'est
toi, l'Européen ? dit-elle, rayonnante. Nous sommes voisins. Je suis
Hinda, la femme de Tall Isak. Viens nous voir. Je te fais un prix, à toi qui as
tiré un calaat de ce roi-là ! »
A l'auberge,
Salman le Petit lui amena deux autres voisins qui voulaient l'entendre parler
de l'Europe et du calaat ; deux jeunes tailleurs de pierre qui lui
tapèrent dans le dos et lui offrirent à boire. Mais il regagna vite sa
solitude, s'occupa de ses bêtes et lut Aristote dans le jardin. C'était
difficile, le sens lui échappait et il restait confondu de son ignorance. La
nuit tombant, il rentra, alluma la lampe et prit le Coran. Le livre commençait
par les sourates les plus longues. Comment choisir les passages
importants ? L'essentiel était de s'y mettre.
Gloire à
Dieu, le Très-Haut, plein de Grâce et de Miséricorde. Il est le créateur de
toutes choses, et de l'Homme entre toutes les créatures...
Il lisait et
relisait, mais à peine avait-il retenu quelques versets que ses yeux se
fermèrent et qu'il sombra, tout habillé, dans un profond sommeil, comme pour
échapper à une veille irritante et douloureuse.
40. L'INVITATION
Rob était réveillé chaque matin par le soleil levant. Dès l'aube, les gens
sortaient dans les rues, les hommes allant à la synagogue, les femmes au marché
pour installer leurs éventaires ou acheter les meilleurs produits. Un de ses
voisins était cordonnier ; un autre, boulanger, lui avait fait porter dès
son arrivée un pain rond, chaud et croustillant, pour son petit déjeuner.
Chacun, dans le quartier juif, avait un mot aimable pour l'étranger
bénéficiaire du calaat.
Moins
populaire à la madrassa, il était le dhimmi pour les musulmans et l'Européen
pour les Juifs. Son expérience, peu appréciée, de barbier-chirurgien fut
pourtant utile au maristan, où au bout de trois jours il se montra capable de
faire bandages, saignées et de réduire les fractures simples avec la même
compétence qu'un diplômé de l'école. Il fut dispensé des corvées au profit de
tâches plus directement liées aux soins des malades, et sa vie en devint un peu
plus supportable.
Quand il
demanda à Abul Bakr quelles étaient les plus importantes des cent quatorze
sourates du Coran, le gros mullah lui répondit que cela restait à
l'appréciation de chacun. Que faire ?
« Il faut
étudier le Coran, et Allah – gloire à Lui ! – te les révélera. »
Mahomet le
suivait partout, le regard d'Allah ne le quittait pas ; à l'école, on
n'échappait pas à l'islam : un mullah veillait dans chaque classe à ce que
le nom d'Allah ne soit jamais profané.
Le premier
cours de Rob avec Ibn Sina portait sur l'anatomie. On y disséqua un
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