Le médecin d'Ispahan
paillettes, sur une
robe souple en coton imprimé de fleurs jaunes ; toute menue, elle avait
une démarche de reine. Des bracelets de perles ornaient ses chevilles, où la
culotte bouffante finissait en franges sur ses jolis talons nus. La fille d'Ibn
Sina, si c'était elle, le dévisagea de ses grands yeux sombres, avec autant de
curiosité qu'il l'observait lui-même, avant de détourner son visage voilé comme
l'ordonnaient les lois islamiques en présence d'un homme. Derrière elle, parut
un eunuque enturbanné, monstrueusement gros, la main sur la garde ouvragée de
son poignard, qui suivit Rob d'un regard meurtrier jusqu'à ce que la belle eût
disparu à l'intérieur d'un jardin. Alors, la porte de la maison, une simple
dalle de pierre, s'ouvrit en tournant sur ses gonds huilés, et un serviteur
introduisit Rob dans une pièce spacieuse et fraîche.
« Ah !
Mon jeune ami, tu es le bienvenu chez moi. »
Ibn Sina le
précéda à travers une série de grandes salles tendues de tapisseries aux
couleurs de terre et de ciel, avec des sols de pierre couverts de tapis épais
comme un gazon. Dans un jardin intérieur, au cœur de la maison, une table était
dressée auprès d'une fontaine. On apporta du pain non levé et le maître
psalmodia une invocation islamique.
« Veux-tu
dire tes propres prières ? proposa-t-il avec bienveillance.
– Sois béni,
Seigneur notre Dieu, récita Rob en brisant le pain, Roi de l'Univers, Toi qui
fais venir notre pain de la terre.
– Amen. »
Le repas fut
simple et délicieux : concombres à la menthe et au caillé, pilah léger
avec de l'agneau et du poulet, compotes de cerises et d'abricots, sherbet
rafraîchissant au jus de fruits. Un esclave apporta ensuite des linges humides
pour le visage et les mains, tandis que d'autres débarrassaient la table et
allumaient des torches afin d'éloigner les insectes. Enfin ils s'assirent tous
deux et se mirent ensemble à croquer des pistaches.
« Alors »,
commença Ibn Sina – ses yeux étonnants où passaient tant de choses brillaient
dans la lumière –, « dis-moi comment tu as su qu'Ismail Ghazali allait
mourir. »
Rob raconta ce
qui s'était passé à la mort de sa mère, puis de son père, quand il avait tenu
leurs mains, et toutes les autres personnes dont le contact lui avait transmis
la bouleversante révélation. Il répondit à toutes les questions, fouillant sa
mémoire pour n'oublier aucun détail. Le doute s'effaçait peu à peu du vieux
visage.
« Montre-moi
comment tu fais. »
L'étudiant
prit les mains du maître en le regardant dans les yeux, et presque aussitôt il
sourit.
« Pour
l'instant, vous n'avez rien à craindre de la mort.
– Toi non
plus », dit calmement le médecin.
Un moment
passa et, tout d'un coup, Rob comprit.
« Vous le
sentez, vous aussi, maître ?
– Pas comme
toi. En moi, c'est une certitude profonde et forte qu'un patient va mourir ou
non. J'en ai parlé avec d'autres médecins qui partagent cette intuition ;
c'est une confrérie plus importante que tu ne l'imagines. Mais je n'ai jamais
rencontré un don aussi fort que le tien. C'est une responsabilité et tu ne
l'assumeras qu'en devenant un excellent médecin. »
Ramené à la
dure réalité, le jeune homme soupira.
« Je
risque d'échouer car je ne suis pas un érudit. Vos étudiants musulmans sont
nourris de culture classique, les autres Juifs ont le solide enseignement de
leurs maisons d'étude. Je n'ai que deux misérables années d'école et une
profonde ignorance.
– C’est
pourquoi tu dois travailler plus dur et plus vite que les autres, dit ibn Sina
sans complaisance.
– On demande
trop dans cette école, et je n’ai ni envi ni besoin de tout cela : la
philosophie, le Coran…
– Tu te
trompes, coupa le vieil homme avec mépris. Comment peux-tu rejeter ce que tu
ignores ? La science et la médecine te parlent du corps, la philosophie de
l’intelligence de l’âme. Un médecin a besoin de tout cela, comme de nourriture
et d’air. J’ai appris le Coran par cœur à l’âge de dix ans ; c’est ma foi
et non la tienne, mais elle ne te fera pas de mal et apprendre dix Coran serait
peu de chose si cela te valait de connaître la médecine.
« Tu es
intelligent puisque tu as appris une nouvelle langue, et nous avons décelé
d'autres promesses en toi. Mais apprendre doit te devenir aussi naturel que
respirer. Tu dois élargir ton esprit pour assimiler tout ce que nous
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