Le médecin d'Ispahan
infirmières,
aucun homme n'ayant le droit de les approcher, en dehors du mari de chacune et
des médecins. Il y avait deux salles consacrées à la chirurgie et une longue
pièce au plafond bas où des pots et des flacons soigneusement étiquetés
s'alignaient sur des étagères. C'était le « trésor des drogues ».
« Le
lundi et le mardi, les médecins consultent à l'école. Les préparateurs fabriquent
ensuite les médecines qui ont été prescrites ; ils sont honnêtes et précis
dans le moindre détail, tandis qu'en ville, la plupart des marchands de remèdes
sont des pourris qui te vendraient de la pisse pour de l'eau de rose. »
A côté, dans
le bâtiment de l'école, Karim montra les salles d'examen, de conférence et les
laboratoires, une cuisine, un réfectoire et un grand bain pour les professeurs
et les étudiants.
« Il y a
quarante-huit médecins et chirurgiens, qui ne sont pas tous professeurs. Avec
toi, nous sommes vingt-sept étudiants en médecine, dont chacun suit
l'enseignement de différents praticiens. La durée de ces apprentissages varie
selon les individus, de même que celle des études. Tu peux te présenter à
l'examen oral dès que ces salauds de profs décident que tu es prêt. Si tu
réussis, tu deviens hakim ; sinon, il faut retravailler en
attendant une autre chance.
– Il y a
longtemps que tu es ici ?
– Sept ans,
dit Karim amèrement ; j'ai échoué l'an dernier en philosophie et cette
année en jurisprudence. A quoi sert tout ça ? Je suis déjà un bon
médecin. »
A la madrassa,
les cours du matin étaient obligatoires dans toutes les disciplines ; on
pouvait choisir sa classe et tâcher de se faire connaître de certains
professeurs, qui pourraient être alors plus compréhensifs à l'oral.
L'après-midi, chacun travaillait dans sa spécialité : au tribunal pour le
droit, à la mosquée pour la théologie ; les philosophes lisaient ou
écrivaient et les futurs médecins faisaient à l'hôpital fonction d'assistants. Ils
pouvaient alors suivre la visite des médecins, examiner les malades et proposer
des traitements.
« Une
merveilleuse occasion d'apprendre... ou de devenir un parfait
imbécile ! » soupira Karim en faisant la grimace.
« Sept
ans ! pensait Rob, et un avenir incertain. Pourtant, il devait avoir au
départ un bagage meilleur que le mien ! »
Ses
appréhensions s'évanouirent à la bibliothèque, qu'on appelait la maison de la
Sagesse. Que de livres ! Certains manuscrits étaient sur vélin, mais la
plupart rappelaient le mince support du calaat.
« Ce
n'est pas du parchemin, grogna Karim, c'est du papier, une invention des yeux
bridés d'Orient, des infidèles très futés. Vous n'en avez pas en Europe ?
On fait ça avec de vieux chiffons pilonnés, apprêtés à la colle animale, puis
pressés. Ce n'est pas cher, même pour des étudiants. »
Rob, fasciné,
parcourait la salle, touchait les livres, notant tous ces noms d'auteurs qui,
pour la plupart, lui étaient inconnus : Hippocrate, Dioscoride, Ardigène,
Rufus d'Ephèse, l'immortel Galien, Oribase, Philagrios, Alexandre de Tralles,
Paul d'Egine...
« La
madrassa possède presque cent mille livres ! L'université de Bagdad en a
six fois plus, ainsi qu'une école de traducteurs où les livres sont transcrits
sur papier dans toutes les langues du califat oriental. Mais nous avons ce
qu'ils n'ont pas, dit fièrement Karim en montrant tout un mur consacré aux
œuvres d'un seul auteur : Lui ! »
L'après-midi,
Rob vit cet homme que les Persans appelaient le chef des princes. Au premier
abord, Ibn Sina le déçut : son turban rouge de médecin était fané,
négligemment drapé, sa tunique modeste et râpée. Petit, chauve, un nez bulbeux
aux veines apparentes et des plis affaissés sous sa barbe blanche : un
Arabe vieillissant. Mais Rob remarqua ses yeux bruns au regard perçant, tristes
et attentifs, sérieux, étonnamment vivants. Il le sentit tout de suite :
Ibn Sina voyait les choses qui restaient invisibles au commun des hommes.
Suivi de sept
étudiants et de quatre médecins, le maître s'arrêta près de la paillasse d'un
homme décharné.
« Qui est
l'assistant de cette section ?
– C'est moi,
maître. Mirdin Askari. »
Voilà donc le
cousin d'Aryeh, se dit Rob, en regardant avec intérêt le jeune homme au teint
basané ; sa mâchoire allongée et ses larges dents blanches lui faisaient
un visage sans grâce mais sympathique comme celui
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